« En cuisine, il n’y a rien à gaspiller »

Printemps 2018

Comment sensibiliser au gaspillage alimentaire tout en oeuvrant contre la pauvreté et la malbouffe à Bruxelles ? L’organisation Eatmosphere récupère en moyenne 250 kilos de surplus alimentaire par semaine et en distribue 230 à des organisations d’aide aux personnes démunies. Nous avons rencontré son fondateur, Steven Desair, qui nous raconte comment Eatmosphere réutilise les restes pour nous convaincre de manière positive qu’en cuisine : « il n’y a rien à gaspiller ».


 

Qu'est-ce qui t'a motivé à lancer Eatmosphere?
C'est une histoire qui s'est mise en place un peu comme les pièces d'un puzzle. Je travaillais dans le secteur privé et je ne m'amusais pas du tout. Je voulais avoir un impact positif sur mon entourage et sur le monde avec mon activité. Ça n'a pas été évident au début. J'ai commencé par faire du bénévolat dans plusieurs associations, notamment dans une organisation qui travaillait avec des personnes sans abri. J'ai alors remarqué que ces personnes ne se nourrissaient pas bien. Si la nourriture est notre carburant, pour les personnes plus démunies qui n'ont pas accès à de la nourriture de qualité, ça devient un cercle vicieux.

Et la dernière pièce du puzzle a été le fait que j'ai découvert que je suis intolérant au lactose. Je me suis demandé comment ça a pu arriver étant donné que j'ai toujours été un peu « foody », très gourmand et toujours à la découverte de nouvelles saveurs. Tu me donnes un bon truc à manger et je suis le plus heureux du monde. Cette situation m'a poussé à faire des recherches sur la nourriture et m'a ouvert les yeux sur l'industrie alimentaire. La manière de produire les aliments, les produits chimiques qu'on consomme à travers la nourriture industrielle, notre corps ne tolère pas tout ça. En plus, j'ai appris qu'on gaspille à peu près un tiers de la nourriture produite. J’ai alors eu l’idée de récupérer ces aliments et de les redistribuer à des personnes démunies en même temps que de sensibiliser sur le gaspillage alimentaire. Avec ce projet j’ai été sélectionné dans un appel de l’asbl Creativity Call for Brussels, qui d'ailleurs a servi de tremplin à plusieurs initiatives bruxelloises très intéressantes. Eatmosphere est né et aujourd'hui c'est le parapluie qui englobe plusieurs projets, entre autres Mary Pop-In qui s'installe dans les locaux de Bel Mundo quand celui-ci est fermé. Je dis souvent qu’on sensibilise en «  touchant les papilles gustatives ». On essaye de convaincre les qu'il n'y a rien à gaspiller en cuisine au travers d’un brunch végétalien.

Vous travaillez souvent en collaboration avec des autres restaurants, peux-tu m’en dire plus?
Oui, notre but est de changer notre environnement et pour ça c'est essentiel de faire des connections et on s'éclate à les faire. On a réussi à créer un bon réseau maintenant. Cela nous permet de sensibiliser sur le gaspillage alimentaire auprès de nouvelles personnes. Chaque fois qu'on coopère avec une nouvelle organisation ça crée des déclics chez les gens.

Où vas-tu chercher la nourriture pour approvisionner Eatmosphere?
On va « sauver » de la nourriture dans à peu près 20 lieux partenaires à Bruxelles. Cela varie chaque semaine en fonction des surplus qu'ils ont, mais par exemple on récupère les invendus des fermiers qui viennent à Bruxelles pour vendre leurs produit en circuit court. Alors même si ces produits sont d'une super qualité, très souvent ils ont des légumes ou fruits qu'ils n'arrivent pas à vendre à cause de leur apparence. On récupère aussi des biscuits cassés dans une biscuiterie pour en faire des gâteaux. On va chercher également des « sous-produits ». Chez Brussels Beer Project on récupère la drêche qu'on utilise pour faire des crackers et le marc de café qu’on utilise pour préparer des glaces par exemple.

Printemps 2018

Votre menu change donc en fonction des aliments que vous arrivez à récupérer?
Oui, exactement. C'est une cuisine très intuitive. La quantité de nourriture gaspillée est telle qu’on manque de mains pour pouvoir tout transformer. Aujourd’hui, on aimerait s'engager à prendre plus de nourriture mais nous sommes limités par le manque de personnel et d’installations.

Quelle est votre position par rapport à la viande et le poisson? Comment les travaillez-vous?
Eatmosphere essaie de sensibiliser sur ces consommations auprès du grand public. On a un volet végétaliens, qui est Mary Pop-In avec des brunchs sans produits d’origine animale. Cette cuisine nous correspond parce que la production de viande a un impact énorme sur l'environnement. Mais on a d’autres événements où on travaille un menu avec des poissons méconnus ou avec des pièces de viande moins utilisées. Les poissons qu'on propose viennent des partenaires comme North Sea Chefs, qui travaille avec des poissons frais directement arrivé du bateau. Pour la viande on travaille avec la boucherie Dierendonck.

Est-ce que vous travaillez sur le développement d'un label?
En fait, on hésite un peu pour le moment sur ce projet. L'idée était de fonctionner comme une marque de garantie sur des établissements qui sont zéro déchet. Mais il y en a tellement de labels différents qu'on se demande si ça apporterait un plus. D’un autre côté, notre impact est beaucoup plus fort en collaborant directement avec les partenaires. Donc pour l'instant le label reste dans le congélateur.

J’ai vu que vous proposiez un livre de recettes!
Oui, c’est un recueil d’interviews très inspirantes de fermiers et d'autres partenaires qui travaillent d'une manière différente. La base de ce projet est de valoriser la production et la consommation de produits locaux et de saison. Si on reconnectait tous avec la nourriture locale, le gaspillage diminuerait. Pour le moment le livre existe seulement en néerlandais.

As-tu un conseil à donner aux personnes qui sont en transition pour les aider à faire un pas de plus vers la valorisation de la nourriture?
Se demander d'où vient la nourriture qu'on mange. Dans le cas des gens qui mangent de la viande, est-ce que vous savez si les animaux ont été élevés avec respect? Avaient-ils assez de place de pâturage? Étaient-ils bien nourris? Quand on commence à réfléchir comme ça il y a déjà un changement qui se met en place et on se rend compte que la qualité des aliments est évidemment meilleure quand il y a eu du soin dans sa production.

Est-ce que tu veux nous raconter quelque chose qu'on ne connaît pas encore sur Eatmosphere?
Oui! Il y a deux choses. D'un côté nous sommes en train lancer le livre de Mary Pop-In avec notre philosophie, des recettes végétariennes et des interviews. Il y aura aussi des recettes de grands chefs qui sont passés par Eatmosphere. Et puis des événements gastronomiques pour les personnes sans abri sont en train de se mettre en place. Inspirés par Massimo Bottura qui a commencé avec ce type de projet et grâce au développement qu’a pris notre réseau, nous allons organiser des dîners gastronomiques complètement gratuit pour les personnes en situation fragilisée. On a hâte de commencer!

 


 

Illustrations : Lysiane Ambrosino