Quel est l’impact social et environnemental de la mode? Comment s’habiller selon ses convictions sans nuire à la planète tout en respectant les travailleurs? C’est en se posant ces questions et surtout en se rendant compte qu’il n’était pas simple de s’habiller selon ses convictions à Bruxelles, qu’Héléna Van Aelst, amatrice de mode travaillant pour des ONG internationales, a tout plaqué pour lancer Wonderloop. Wonderloop c’est une boutique de vêtements et d’accessoires pour femmes et hommes où toutes les pièces sont choisies avec amour et surtout avec beaucoup d’exigence par rapport à leur responsabilité sociale et environnementale. Entretien.
Qu’est-ce qu’un vêtement éthique ?
Chez Wonderloop, c’est la pyramide de Maslow revisitée pour la consommation responsable. Ici la toute première chose à faire quand on veut consommer de façon responsable, c’est d’abord d’emprunter puis de louer, ensuite d’acheter en seconde main et tout en haut de la pyramide c’est acheter neuf. Et c’est là que se trouve Wonderloop et on ne veut pas dire qu’un vêtement éthique c’est un vêtement qui vient de chez nous, on n’a pas le monopole du vêtement éthique. Un vêtement éthique c’est un vêtement qu’on a acheté et qu’on porte, c’est un vêtement qu’on répare, dont on prend soin et qu’on lave correctement. Si ensuite dans notre garde-robe on n’a plus tout ce qu’il faut, on essaye de louer, d’emprunter, d’échanger, on achète en seconde main et ensuite on achète neuf.
Chez Wonderloop, nous ne proposons que du neuf. Nos critères pour un vêtement éthique comprennent la phase de production, la phase de confection, l’impact social et l’impact environnemental. Nous essayons que ces quatre cases soient cochées. Sur certains articles les quatre cases ne sont pas cochées mais il faut toujours qu’il y en ait au moins deux. Par rapport à l’aspect environnemental sur la phase de production la question est : quelles matières sont utilisées ? Les marques et les créateurs avec lesquels nous travaillons utilisent soit du coton bio, soit des matières récupérées. Et sur l’impact environnemental de la phase de confection, quand on est dans des productions de petites tailles artisanales la question ne se pose pas vraiment. Mais il y a des marques qui ont des productions assez importantes et nous veillons à qu’elles portent bien le label GOTS qui garantit que dans leurs ateliers, il y a une utilisation éco-responsable de l’eau, de l’énergie, etc. Par rapport à l’aspect social, quand une matière neuve de type coton est utilisée, nous faisons en sorte qu’il soit issu du commerce équitable. Sur la phase de la fabrication nous regardons où et comment le vêtement a été fait.
Un vêtement éthique est un vêtement qui, aussi bien du point de vue social que du point de vue environnemental respecte la planète et les travailleurs.
Que réponds-tu à quelqu’un qui pense qu’acheter de la mode éthique c’est trop cher?
C’est vrai qu’acheter chez nous est plus cher qu’acheter de la Fast Fashion mais le problème avec les prix de la la Fast Fashion est que ce ne sont pas les vrais prix des vêtements. C’est pour cela que le documentaire The True Cost est si intéressant, parce qu’il a cette formule très frappante :
quand un vêtement est aussi peu cher, quelqu’un, quelque part en paye le prix.
Et c’est ça qui est horrible, on y voit que derrière le coton conventionnel ce sont des agriculteurs indiens qui achètent du coton OGM à Monsanto. Pendant les premières années les productions augmentent et c’est génial, sauf qu’en fait les sols s’épuisent. Les producteurs sont obligés de se réendetter toujours plus chaque année pour acheter toujours plus de pesticides qui polluent les sols, ce qui créent des populations où 80% des enfants qui naissent ont des malformations. Ce sont des fleuves entiers en Inde complètement pollués par le tannage du cuir et par la transformation des jeans. Tout ça c’est le prix de la mode pas cher.
Chez Wonderloop, les prix de nos t-shirts varient entre 35 et 50€, c’est le prix de cinq à dix t-shirts chez H&M. C’est donc aux gens de se poser la question de s’ils ont vraiment besoin de dix t-shirts qui vont durer un ou deux ans ou s’ils ont besoin de trois t-shirts qui vont durer plusieurs années selon l’utilisation et l’entretien qu’ils en font.
Pour l’architecture intérieure du magasin, vous avez fait appel à un bureau de design éco-responsable, peux-tu nous en parler ?
Au tout début du projet, Wonderloop fonctionnait comme une Concept Store nomade et quand on a commencé à chercher un local pour s’y installer de façon permanente, nous avons trouvé cet espace. En surface, l’espace correspondait à ce que nous recherchions. Le seul hic était que l’espace en tant que tel était une boîte à chaussures, très bas de plafond, avec un mauvais éclairage et absolument aucun mobilier de présentation de vêtements. Nous en avons donc profité pour travailler avec des architectes-menuisiers bruxellois pour faire des travaux éco-responsables, Design With Sense, parce qu’ils correspondaient bien à l’importance que nous attachons aux aspects sociaux et environnementaux. Par rapport à l’aspect social, ils font du « co-design » donc ils co-construisent avec les usagers l’espace. Dans le cas d’une boutique de vêtements, les usagers sont les vendeuses mais aussi les clients. Par rapport à la dimension éco-responsable, ils ne travaillent qu’avec des matériaux récupérés. Wonderloop est d’ailleurs leur chantier avec le plus haut taux de récupération, on a 95% de matériaux récupérés dans la boutique. Ils passent par une entreprise qui s’appelle Rotor qui récupère du matériel, c’est comme une boutique de seconde main de matériaux de construction.
Quels sont tes conseils pour choisir ses vêtements de manière éthique, durable et éco-responsable?
C’est intéressant de commencer par faire un tri dans ce qu’on a déjà, de garder les choses qu’on porte vraiment et donner le reste. On n’a pas besoin de cent pièces dans sa garde-robe, avec vingt bonnes pièces on peut déjà créer plein de tenues différentes. On peut faire réparer ou faire nettoyer les vêtements qui ne sont plus fonctionnels. Il faut partir de ce qu’on a déjà. Et puis se questionner sur ce qu’on a besoin et sur ce qu’on a envie parce que s’habiller c’est aussi pour se faire plaisir. On peut également louer si c’est possible, par exemple le vêtement qu’on ne porte qu’un jour pour un événement spécial. Acheter de seconde main aussi. Donc avant d’acheter du neuf, essayer d’épuiser vraiment tous les autres moyens. Et s’il faut vraiment acheter du neuf, éviter d’aller chez Zara et H&M, c’est facile et pas cher mais ce n’est pas bon pour la planète, ce n’est pas bon pour les gens, ce n’est pas bon pour sa peau, ce n’est bon pour rien en fait.
Et surtout faire attention à toutes ces pseudo-gammes «conscious» qui sont en train de fleurir dans les chaînes de Fast Fashion. Pour revenir aux quatre cases dont on parlait tout à l’heure, ces gammes Conscious vont en cocher une des quatre, ce sera du coton bio mais ce sera aussi peut-être un enfant de quatre ans qui aura cousu le t-shirt.
Attention aussi au « Made in Belgium », « Made in France », « Made in Europe » parce que c’est peut-être du polyester mal fabriqué ou du cuir mal tanné. L’étape de fabrication ne pose pas la question de la matière première. Le prix fait réfléchir mais c’est bien en fait.
Est-ce que Wonderloop a un idéal vers lequel il tend ?
En fait le nom du projet nous l’avons choisi pour deux raisons : nous voulions d’abord qu’il soit en anglais et nous avons pris “wonder” parce que nous voulions un nom positif et “loop” est au sens de la boucle qui peut être la boucle de la maille textile. Donc Wonderloop devient « la maille merveilleuse ». Mais “loop” est aussi un mot employé pour l’économie circulaire. Nous avons pris ce nom pour qu’il soit aussi notre horizon, notre idéal, c’est en tout cas ce vers quoi nous voulons tendre. L’échelle de temps n’est pas claire, ce sera peut-être dans deux ans ou dans dix ans mais nous aimerions tendre vers un modèle hybride comme une boutique à Amsterdam qui s’appelle LENA The Fashion Library où ils vendent du neuf, de la seconde main et proposent également des vêtements en location. L’idée est de montrer qu’on peut acheter du neuf, de la seconde main et de louer dans le même espace. Pour l’instant nous ne sommes qu’à l’étape de vente de neuf donc nous sommes sur un schéma linéaire. Ça va se faire en plusieurs étapes. La première étape sera de proposer à nos clients de nous ramener les vêtements qu’ils ont acheté chez nous et qu’ils ne portent plus. Nous commencerons alors à constituer un stock de vêtements de seconde main qui sont à l’origine durable, ce sera la seconde main la plus durable qui soit ! Il y aura ensuite l’étape de la location, je pense que nous commencerons à mettre les pieds dedans l’an prochain avec des jeans, des manteaux, des robes, des chaussures. Ce sont vraiment des pistes d’évolution que je trouve excitantes parce qu’elles sont innovantes et nous obligent à être encore plus exigeantes par rapport à ce qu’on a envie de faire du point de vue environnemental.
Wonderloop est ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h
35, rue de Flandre - 1000 Bruxelles
Illustrations: Ivonne Gargano