Un mal de tête qui a tout changé

Automne 2017

Dans la rubrique 24H, nous invitons des producteurs du Réseau des GASAP Bruxellois à partager avec nous leur quotidien à l'aide d'un appareil photo jetable.


Koen De Rom est éleveur et producteur de fromage de chèvre, membre du Réseau Bruxellois des Gasap. Convaincu par l’importance d’offrir un produit de qualité, il défend la production à petite échelle et la vente directe comme les principales raisons d’être de son métier. L’autonomie est aussi une valeur qui lui est chère, il l’a cherchée tout au long de sa carrière. Entretien.

Voilà la tonte du mouton. Dans le passé, je faisais tondais jusqu’à 2000 moutons par année! C’était épuisant. Maintenant j’en fais une centaine et c’est très bien comme ça.

Comment as-tu commencé à travailler en bio ?

J’ai décidé de cultiver tout en bio parce que j’avais eu mal à la tête ! Quand j’ai commencé, on m’avait conseillé d’utiliser des engrais. Et les premières fois que j’en ai utilisé, un petit vent s’est levé avec de la poussière d’engrais et d’un coup j’ai attrapé un mal de tête… Après quelques épisodes, j’ai vite compris la raison, je ne pouvais pas travailler dans ce genre de conditions. Donc, j’ai commencé à me renseigner sur d’autres possibilités de faire. À l’époque, le bio était dans ses débuts et les gens qui le travaillaient déjà m’ont accueilli les bras ouverts et m’ont bien informé. Je suis ensuite tombé sur le livre de Dominique Soltner “Les grandes productions végétales”, qui m’a vraiment formé dans les connaissances de base. Plus tard, j’ai eu le bonheur d’être entouré de gens qui avaient beaucoup d'expérience dans le domaine, comme Pierre Gevaert dans l’agriculture biologique ou Ernest Poelaert qui a connu l’agriculture bio avant que ça ne porte ce nom. Il y a 70 ans tout le monde travaillaient bio, il n’y avait que ça.

Je voulais tout faire moi-même: faucher, sécher l’herbe, balloter, etc. Je suivais le calendrier de la biodynamie pour les semis et les récoltes. Dans le coin où j’habitais, j’étais le seul à faire ça, il n’y avait personne qui faisait l’effort de comprendre pourquoi je le faisais parce que c’était tellement facile pour eux de pulvériser les engrais.

Comment as-tu appris la technique de tonte des moutons ?

Ah ! C’est toute une histoire ! Pendant mes études, on devait aller visiter une société coopérative d'agriculteurs : Coprosain, et c’est là que mon amour pour les chèvres a débuté. Plus tard, j’ai rencontré un couple qui vendait du fromage de chèvre pour cette même coopérative. Ils avaient une trentaine de chèvres pour la production de leur fromage et ils faisaient la tonte eux-mêmes. Comme j’étais très enthousiaste, ils ont accepté de me former, avec beaucoup de patience. Ils étaient contents parce que je pouvais les aider aussi. En général en Belgique, on trouve des petits troupeaux par-ci par-là mais il n’y a pas vraiment de bergeries, donc le tondeur doit souvent aller attraper lui-même les moutons. Ça peut-être assez fastidieux.

Pendant cette même période, j’ai acheté un livre: “L'élevage moderne du mouton”, que j’ai encore aujourd'hui d’ailleurs. Ça explique les différentes étapes de la tonte, que j’apprenais à pratiquer avec mes propres agneaux.

J’ai aussi eu le bonheur de rencontrer Pierre Gevaert, qui est quelqu’un de très intéressant qui vivait tout à fait en dehors du commun; mais pas comme un marginal. Il a fondé la marque Lima de produits bio, c’est lui qui a inventé la galette de riz, par exemple. Comme j’étais très motivé, il m’a beaucoup appris. Il avait beaucoup d'expérience parce qu’il avait été tondeur départemental en Dordogne, en France. À l’époque, j’avais déjà ma technique de tonte que j’avais apprise de manière autodidacte, c’était la méthode Montmorillonnaise. Mais grâce à ses conseils, j’ai commencé à gagner 20-25 secondes par bête, ce qui est énorme.

Automne 2017

Est-ce qu’à ton tour tu passes ton savoir-faire à quelqu'un d’autre ?

Non, et c’est dommage. J’ai vite compris que dans le milieu de la tonte il n’y a pas beaucoup de professionnels. Ce sont presque tous des pensionnés ou des gens qui le font de temps en temps. Leur tonte prend donc beaucoup trop de temps et la bête souffre de rester assise si longtemps. C’est même dangereux parce qu’elle peut avoir une perforation de l’intestin. Il faut s’y connaître un minimum.

Que fais-tu de la laine de tes moutons ?

J’ai essayé de la tisser, la filer et même de la teindre. Mais finalement je la vends brute dans des sacs et ce sont mes clients eux-mêmes qui la traitent.

Peux-tu nous parler de Coprosain ?

C’est une association qui aide des entreprises familiales agricoles à survivre. En dehors des grosses industries et en dehors de Monsanto, par exemple, qui eux développent des graines génétiquement modifiées et, d’une certaine manière, ils obligent les agriculteurs à consommer tous leurs produits. Si tu ne le fais pas, tu perds ta récolte, essentiellement. Alors tout le monde suit les yeux fermés. J’ai toujours voulu rester en dehors de ce circuit.

Automne 2017

Comment développes-tu la production de tes fromages ?

Je produis mes fromages avec une méthode tout à fait classique, sans améliorateurs qui servent à augmenter la quantité, je préfère garder la qualité. Tout commence avec la bête. Une chèvre nourrie avec une pasture avec des engrais naturels te donnera un lait bien riche et bien onctueux, la différence se voit tout de suite. Tu peux avoir une chèvre qui te donne tous les jours quatre ou cinq litres de lait, ce qui n’est pas mal, mais si elle est nourrie avec des produits chimiques son lait sera comme de l’eau, beaucoup moins chargé d'éléments nutritifs.

À ton avis, pourquoi la nourriture bio est plus chère que celle issue de l’agriculture conventionnelle ?

Parce qu’on investit beaucoup plus de temps à sa production. La nourriture bio est donc plus chère et forcément le rendement est plus bas. Il faut compter que tous les éléments qu’on ajoute à nos produits, comme par exemple le poivre bio pour mes fromages, est 40 % plus cher que le poivre de supermarché, et c’est comme ça à chaque étape de la production. C’est pour ça que je me retire un peu du commerce du bio. Pas de la façon de travailler bio, mais de la biogarantie et des labels. On applaudit l’armée de produits bio qui grandit mais l'intérêt derrière c’est toujours le fric. Je trouve que ça manque de conviction dans l’envie de rendre un produit de qualité.

Si tu suis les règles bio pour chasser les primes en espérant avoir le même rendement en quantité que celui qui produit en conventionnel… ce n’est vraiment pas la bonne chose à faire. Mais si ton objectif est de faire un produit de qualité, tu tiendras le coup et ça va se retrouver dans ton produit.

Je trouve que ce qui s’est passé avec la vache Blonde d’Aquitaine en Belgique est en lien avec tout ça. Cette race de vaches a été croisée avec les Blanc Bleus Belges qui sont plus viandeux, et ils ont apporté à la Blonde d'Aquitaine les mêmes difficultés de naissance de veaux qu’ont les Blanc Bleus. C’est vraiment dommage ! Il aurait fallu tout simplement accepter qu’elle donne des veaux plus petits mais elle sait les faire naître ! En plus, la viande est tellement meilleure que celle d’une bête forcée qui ne peut plus tenir sur ses pattes parce que sa musculature a été « surbâtie ». On met trop de viande sur un petit squelette. Gaia devrait agir sur ça parce que c'est un crime sur une bête vivante.

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Un autre exemple : la première fois que j’ai récolté mes céréales cultivées complètement suivant les règles de la biodynamie, le soleil il était en Lion et il fallait semer dans les 36 heures précises. C’était le meunier qui allait en juger de la qualité de ce que j’avais semé et récolté, il allait me dire si c’était panifiable. J’apportais mes graines au Moulin de la Marquise. Je n’oublierai jamais ce que m’a dit Joseph Dhaenens, troisième génération meunière, quand je lui ai apporté mes céréales et qu’il a vu ma farine: “ça date du temps de mon père que j’ai plus vu une farine d’une telle qualité”.

Qu’est-ce qui te donne le plus plaisir dans ton métier ?

II y a des moments où ça me plaît à du deux-cent à l’heure et des moments où je me demande ce que je fais là. J’ai envie de voir le monde par exemple, mais c’est très difficile de quitter la ferme. En trente ans, j’ai eu un mois et demi de congé, c’est aussi simple que ça. Mais qu’est-ce qui me plaît ? Avant tout, je suis mon propre maître et je me fiche de tout le reste. Je refuse les primes agricoles, etc. Je n’en ai pas besoin.

Quand tu penses qu’ici pour avoir une agriculture forcée, c'est-à-dire pour que toute l’année, aussi bien en novembre qu’en été, on puisse trouver dans les supermarchés des légumes d’été, l’Europe a inventé un système de subventions.  Et en même temps, chaque année, 40 % des fruits et légumes de la production agricole industrielle est détruite parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur ou la bonne forme. Je trouve ça affreux et c’est le système de subventions qui génère ça.

L'agriculteur ne peut pas vivre du prix du marché de son produit, il ne peut pas le produire pour ce prix-là donc il reçoit des subventions. Je pense que les éleveurs ont besoin de subventions parce que leur travail n’est pas valorisé à juste titre ! La subvention donne une fausse image de la situation de l’agriculture.

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Que peut-on faire en tant que citoyen pour éviter ça ?

La production à petite échelle et la vente directe sont la clé. Il faut que les producteurs sachent pour qui ils travaillent et que les consommateurs sachent à qui ils achètent, il faut qu’ils puissent avoir l’assurance que le produit qu’ils consomment soit au-dessus de la moyenne. Je ne dis même pas que ça doit être le meilleur produit, mais qu’il soit mieux que la moyenne. La médiocrité, ça tout le monde peut le faire.

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