Le compostage Bokashi: faire fermenter ses déchets organiques

Printemps 2019

Le bokashi est une technique de compostage des matières organiques qui transforme de façon rapide et presque sans odeurs les restes de cuisine par la fermentation. Une fois les déchets organiques enfermés dans un seau, un processus anaérobique (en absence d’air) s’enclenche grâce au son de blé imprégné de micro-organismes efficaces. Ces derniers agissent en transformant vos déchets alimentaires en une sorte de ‘pickles’ qu’on enterre ensuite. Nous avons rencontré Stéfania Cao, fondatrice du Bokashi Compost Belgique, qui nous parle des avantages de cette technique.


 

Comment as-tu découvert cette technique de compostage?

Je suis arrivée à la technique du Bokashi grâce à une rencontre que j’ai faite lors d’un voyage en Asie. Jenny Harlen développe le bokashi en Suède depuis dix ans. Dans ma vie "précédente", j’ai géré une agence de marketing à Paris et à la base j'ai une formation de pharmacienne nutritionniste.

Je considère que la nature nous fournit, généralement, tout ce dont nous avons besoin: les plantes médicinales contiennent une large gamme de substances bénéfiques pour notre santé.

Aujourd’hui la pharmaceutique s'attaque le plus souvent aux symptômes et rarement aux causes qui les ont générés. Et il en va de même pour notre société et son approche à la fertilité de sols ou la circulation des voitures... On ne va pas se poser la question de pourquoi il y a des embouteillages. Et c'est pareil pour la santé. On trouve des "anti", anti-inflammatoire, antibiotique, etc. Et on agit sur une seule réaction chimique en oubliant que dans notre corps, tout est interconnecté, que c’est un système entier et pas uniquement une réaction chimique. En ayant étudié la chimie et la biologie j'essaie de faire des connections au-delà de la simple linéarité et ces réflexions m’ont porté à un questionnement sur le lien santé/alimentation.

Donc à un moment donné, je me suis demandé où j'étais en train de mettre mon énergie et j’ai poussé la réflexion un peu plus loin: d’où vient ce qu’il y a dans mon assiette? Comment cela pousse-t-il? Et dans quel type de sol? Aujourd’hui on mange des aliments qui sont essentiellement vides de nutriments, comment ça se fait? La terre est vide! Un cycle a été cassé. Depuis des siècles, on pompe tout des sols en utilisant en même temps des engrais et pesticides chimiques... elle n’a plus rien à donner. Au milieu de cette remise en question, j'ai rencontré Jenny et ça a été une révolution pour moi.

Printemps 2019Peux-tu nous expliquer les bénéfices de l'utilisation du bokashi compost?

De façon pratique, en fermentant et en enterrant tous ses restes alimentaires, on nourrit le sol avec des probiotiques et des bonnes bactéries comme on le fait pour notre propre flore intestinale. Tout ce qui poussera dans ce sol aura tout à fait une autre saveur. Des plantes saines avec un bon système immunitaire, produisent des légumes sains beaux et nourrissants.

En mars j'ai passé une semaine de formation dans une ferme au nord de Bangkok où l’on cultive en permaculture, avec du bokashi et des EMs. Pendant tout le séjour on a mangé ce qui été produit sur place et –wow- tu es tellement bien nourrie que tu n'as plus besoin de café ! En fait, quand on consomme une nourriture "vivante" on a besoin d'en manger moins en quantité parce que cette nourriture est plus riches en nutriments. 

Souvent on parle de la difficulté de nourrir l'humanité, mais c'est clair que dans les conditions dont on produit les aliments aujourd’hui, dans l'agroalimentaire, on a besoin de trois salades pour se rassasier. Mais si on travaillait pour produire des légumes plus riches en nutriments, tout ces calculs changeraient! Et c'est tout à fait jouable.

Dans notre modèle de société actuel, on devient des éléments qui font tourner la machine de la consommation. Mais on peut bouger sans attendre que les gouvernement fassent les choses à notre place. Je ne suis pas Sancho Panza contre les moulins, mais je crois que par mon action je peux avoir un impact.

En tant que consommateur on a un pouvoir. Si on arrête de donner notre argent à une entreprise, elle n'existera plus. Et ça c'est un super pouvoir. On vote avec notre argent.

Et si au lieu d'acheter des produits d'une multinational, qui va déforester pour produire de l'huile de palme bon marché, on achèterait à un producteur local à un prix correct, on va en tant qu'individu avoir un impact au niveau économique mais également environnemental. Réfléchissez-y deux fois avant de mettre dans votre caddie le prochain ‘joli packaging’.

Peux-tu nous parler du cycle du carbone et son lien avec le bokashi?

Le bokashi compost est une technique très efficace pour remettre le carbone là où il doit être, c’est-à-dire dans la terre. La matière organique, sous ses différentes formes, contient du carbone : c’est la ‘brique de base’. Quand on laisse la nature suivre son cours, généralement ces matières retournent au sol, où elles se désagrègent, pour être réutilisées ensuite. Le problème c’est que comme on ne respecte plus le cycle de la nature, ce carbone libéré ne retourne pas au sol comme il le ferait naturellement grâce à l'action des arbres.

Depuis l'industrialisation, on extrait les minéraux et le pétrole du sol, sans se soucier des conséquences. Alors que la nature fonctionne par cycles si on la laisse faire et recharge elle-même ses réserves souterraines en carbone.

Même à une échelle plus petite et proche de notre réalité quotidienne… on veut contrôler la nature. Là où on pourrait très facilement la laisser faire son travail de réintégrer du CO2 dans le sol. Les feuilles des arbres qui tombent, on les ramasse et on les met dans un sac en plastique qui va être transporté plus loin en camion, tout ça parce qu'on veut que notre gazon soit bien vert et propre. C'est là que j'essaie de sensibiliser et d'expliquer à mes voisins qu'ils vont bien agir s'ils laissent les feuilles continuer leur cycle aux pieds des arbres.

Quel est le rôle des micro-organismes efficaces dans le bokashi?

Les micro-organismes efficaces ou EMs, développés suite aux recherches scientifiques du Professeur Teruo Higa de l'Université de Ryukyus à Okinawa sont une sélection pointue de bonnes bactéries qui vont aider à transformer les restes organiques en activant un processus de fermentation ou bokashi. Il a sélectionné trois catégories d'EMs : les ferments lactiques, les levures et les bactéries photosynthétiques. Et pour chaque classe il y a assez de souches différentes pour être sûrs que le même mélange marchera dans dans différentes conditions climatiques.

Le principe de fermenter la matière organique et de l'enterrer par après est beaucoup pratiqué dans les champs en Corée. J'ai découvert qu’ici aussi une technique de fermentation est utilisée qui s'appelle le silage. Avant on utilisait également les bouses des animaux de la ferme pour fertiliser les champs. Lorsque ces animaux sont sains, leur intestins contiennent toutes les bonnes bactéries nécessaires pour lancer la fermentation de la matière organique, qui peut être de la paille ou des restes de cultures. Après on couvre le tout en anaérobie, donc en absence d’oxygène, tout ça va fermenter pour être mélangé à la terre plus tard et fertiliser le sol.

Ce que tu appelles ‘Démarreur’, donc le son de blé imprégné avec les EMs, peut-on le faire soi-même?

C’est tout à fait possible, d’ailleurs je vais bientôt donner un atelier sur le sujet. On peut acheter les micro-organismes efficaces inactifs (appelés EM-1) en bouteille. Ensuite il faut ajouter la même proportion de mélasse de sucre pour les nourrir et diluer avec de l’eau. On imprègne ce mélange sur du son de blé, idéalement bio. Avec une bouteille d’un litre de EM-1 on peut produire 200 à 300 kilos de Démarreur. C'est très bon marché de le faire soi-même mais il faut bien respecter les conditions de préparation . Ensuite, il faut fermenter le tout en anaérobie pendant 5 semaines à température stable. C’est important d’avoir les trois catégories de EMs sinon on risque de perdre de la variété et de la richesse du sol.

Des 3 catégories de EM, deux catégories - les ferments lactiques et les levures - peuvent être multipliées assez rapidement. En théorie, on pourrait prendre le jus du bokashi et le reproduire en mettant un peu du sucre, un peu à la façon du kéfir. Mais la troisième catégorie, les micro-organismes phototrophiques, se répliquent beaucoup plus lentement et on les perdrait au bout de 2-3 multiplications. C'est pour cette raison qu’il est conseillé de (re)partir toujours du mélange de micro-organismes original afin de maintenir ou de redonner de la vie au sol. Et surtout, pour que tout le processus se déroule de façon optimale.

Où est préparé ce mélange de micro-organismes qu’on retrouve dans le commerce?

Les chercheurs à l'Université EMRO d'Okinawa au Japon ont breveté le mélange pour en garantir la qualité et l’efficacité. Mais ils confient à des producteurs locaux la formule originale et les instructions détaillées de production. Pour la Belgique et les Pays-Bas, Agriton est le producteur. Donc partout dans le monde on trouvera des producteurs locaux de EMs et du Démarreur bokashi.

Le prix de vente du EM-1 est très bas comparé à d’autres fertilisants et c’est une volonté du prof. Teruo Higa de rendre la technique accessible et démocratique.

Un autre élément important à mes yeux, est qu’une partie des revenus sont réinvestis dans la recherche pour l'agriculture durable dans des pays en voie de développement. J'ai eu la chance de témoigner de leur travail dans la ferme que j'ai visitée à Saraburi. Leur approche s’appelle "Kyusei Nature farming" et c’est une combinaison de permaculture, d’utilisation des EMs et de synergie entre les plantes ou “compagnonnage". Ils ont aussi un élevage de poules et de cochons pour lesquels ils utilisent les EMs sous forme liquide afin de renforcer le système immunitaire des animaux et pour neutraliser les odeurs. Ils les mélangent notamment à la nourriture des animaux et grâce à ça ils sont sains, beaux et n'ont pas besoin d’antibiotiques !

Quels sont les bénéfices des Ems au quotidien?

Le son de blé imprégné d’EMs de notre Démarreur de Bokashi n’est qu'une façon d’utiliser les EM. Mais on peut les utiliser comme engrais pour les plantes, dans ce cas-là ils sont prêts à l’emploi sous forme de ‘EM Microferm’. Avec une formulation légèrement différente -appelée ‘EM Wipe and Clean’, on peut aussi les mettre à service du nettoyage de la maison. Dilués dans l’eau, ils servent à nettoyer toutes les surfaces.

C'est quand même génial de pouvoir nettoyer le sol et ensuite utiliser le contenu du même seau pour arroser les plantes ! On peut même les utiliser dans la machine à laver ou le lave-vaisselle et réduire la quantité de lessive qu'on y met. Tu utilises un produit qui nettoie, qui ne pollue pas mais qui te fais du bien à toi aussi.

Trouvez tout le matériel nécessaire pour démarrer votre bokashi compost sur www.bokashicompost.be


 

Illustrations: Clémence Peyroche d'Arnaud