Passion chicon, une tradition belge

Été 2017

Dans la rubrique 24H, nous invitons des producteurs du Réseau des GASAP Bruxellois à partager avec nous leur quotidien à l'aide d'un appareil photo jetable.


Les chicons, Erik Roggeman en a fait sa passion. Depuis 2015, il est devenu maraîcher à temps plein sur ses deux sites à Haren et à Kampenhout. Une production rentable ? Non. Ou du moins, pas encore. Car le fruit de son travail, Erik le voit plutôt dans la recherche d’une qualité qui, selon lui, se meurt de plus en plus. Passionné par les anciennes techniques traditionnelles, il livre pour 24h ses explications sur la culture du chicon et sa vision du métier.

Été 2017

Erik, c'est la culture du chicon comme elle était pratiquée au XIXe siècle à Schaerbeek, Evere et Haren. Hé oui, avant l'urbanisation de ces quartiers, ceux-ci étaient habités par des maraîchers. Le Chicon en Pleine Terre est maintenant l'une des rares Indication Géographique Protégée que nous ayons en Belgique, et qui s’étend sur le triangle Bruxelles – Malines – Leuven. Quand on goûte la production d'Erik, cela prend tout son sens. De la graine au chicon en passant par la culture de la chicorée, le processus demande au minimum deux ans. Et la cohérence se retrouve à chaque étape, les graines, choisies avec soin par lui-même, la chicorée cultivée sans pesticides, et le forçage comme aux premiers jours.
Goûter cela en 2017 est une belle piqûre de rappel qui montre que non, les traditions culinaires ne sont pas perdues, et que oui, l'agro-industrie ne fournira jamais que des produits sans goût et sans histoire.
  

Florian Delespesse, réseau des GASAP Bruxellois.

Été 2017

-Connais-tu cette légende du paysan schaerbeekois qui, au début du 19e siècle, cultivait des chicons dans sa cave pour éviter des impôts ?

Il y a vraiment une tradition ici de petits paysans, d'entreprises familiales qui cultivent le chicon. Dans tous les villages, du nord de Bruxelles jusqu’à Schaerbeek, presque chaque maison avait un jardin et y plantaient des chicons, même si les gens travaillaient à l’usine ou ailleurs. Ça gagnait tellement bien.

Il y a des histoires qui disent qu'on le faisait un peu de manière cachée dans le garage, derrière un buisson, dans un petit tunnel, parce que dans le temps il fallait déclarer ça au fisc. Les gens étaient taxés par mètre carré, donc parfois ils le faisaient en cachette.

La réalité c'est que les légumes blanchis se font depuis le Moyen Âge. D'ailleurs, j'ai trouvé un texte du XVIème siècle, dans lequel on parle de witloof, qui n'est pas le chicon mais juste une feuille blanche. Il y avait déjà d’autres légumes qu'on appelait witloof. Même avant ça, surtout à Paris, on faisait les capucins qui étaient des chicons mais au lieu d'être fermés, ils montraient de toutes petites feuilles. En fait, quand tu récoltes les chicons, tu enlèves toute ces petites feuilles et il reste le cœur. Tu peux avoir le même résultat si tu les replantes, tu vas avoir toutes les petites feuilles ouvertes, comme des feuilles de salade, mais blanches. Donc ça existait déjà.

Mais cette histoire du paysan schaerbeekois est vraie! Ce qu'il a découvert alors était la forme fermée de la chicorée blanche. La botanique a aussi joué un rôle dans la mise au point de la technique pour faire fermer le chicon. Monsieur Franciscus Bresiers a fait une sélection, la même qui est employée aujourd’hui encore dans les centres provinciaux de botanique.

-Cette méthode, c'est quand même une invention belge ?

A la base, c'est une plante méditerranéenne. Les chicorées, on les cultivait déjà pour faire le café, depuis Napoléon. Et c'est à Bruxelles qu'on a découvert, ou développé, la méthode pour faire le chicon.

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-Trouves-tu que les Belges sont de grands consommateurs de chicons? Est-ce qu’on peut dire que le chicon fait partie de l’identité et de la culture belge ?

Oui, ça oui ! En fait, c'est durant la première Guerre Mondiale que les réfugiés flamands installés au nord de la France sont devenus agriculteurs français de chicorées et de chicons. Et il faut savoir que la France est le producteur mondial n° 1 de chicons. En quantité en tout cas, c'est le plus grand producteur. Le chicon est cultivé au nord surtout, en Flandre et Picardie. Mais en chicons de pleine terre, ce sont les Belges qui restent les seules à produire cette variété.

D’ailleurs, jusqu’aux années 60 la culture du chicon déterminait le rythme de vie dans les villages du nord de Bruxelles et dans le Brabant. J'ai entendu une histoire qu'on m'a racontée à Haren: dans les années 70, il y avait eu tellement de pluie en automne au moment de sortir les racines que les tracteurs ne savaient pas rouler. Les paysans sont venus aux écoles recruter tous les écoliers pour venir aider avec la fourche et les sortir à la main. Et c'était normal ! Tout le monde était investi. Et les enfants sont venus naturellement aider sur les champs. Aujourd’hui, on ne verrait plus ça. Ou bien ça pourrait se faire dans le cadre d’un projet éducatif.

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-Est-ce qu'il y a une raison spéciale pour que cette culture du chicon se soit développé à Bruxelles ?

C’est surtout aux Pays-Bas et en France que le chicon est très industrialisé. En France, parce qu'il y a la surface, aux Pays-Bas parce qu'ils ont commencé assez tard, dans les années 70, quand il y avait cette hydroculture qui s'est installée. C'était beaucoup moins cher de les produire et donc ils les ont produit en masse. Bon, après les prix se sont effondrés mais ça, c'est autre chose. Le truc c'est qu'en Belgique, ils ont commencé à voir ça comme un patrimoine et donc le chicon de pleine terre est devenu un produit régional, et c'est grâce à ça qu’on a pu le maintenir, parce que c'était une espèce en voie de disparition. Il l'est toujours en quelque sorte, car la plupart des paysans défenseurs du chicon de pleine terre sont âgés. Mais maintenant il a reçu un label de produit régional, il a été reconnu, et a pu survivre à la concurrence du chicon produit en hydroculture.

-Voilà les photos que tu avais prises

Là, je suis en train de récolter les chicons, mais où suis-je? Dans le tunnel? Je me souviens plus du moment en tout cas. Ah! C'est dans le hangar ça. Parce que maintenant je travaille à l'extérieur.

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-Qu'est-ce qui, pour toi, différencie le travail en extérieur par rapport au travail dans le hangar ?

Avant, je travaillais pour mon voisin. Il m'apprenait le métier et je l'aidais. Mais quand j’ai essayé de louer le terrain ça n'a pas marché. Du coup, maintenant, je travaille à l’extérieur. C'est beaucoup plus difficile parce qu'il y a la pluie, le vent, la boue. À l'intérieur tout est plus simple. Pour stocker le matériel, pour stocker les racines et pour nettoyer les chicons. C'est plus facile de le faire sur une table, au chaud, que de le faire sous le plastique dans la serre.

J'ai commencé il y a quelques années à acheter des racines à mon voisin, et puis petit à petit j'ai commencé à vouloir faire ça moi-même. Donc on a commencé à travailler ensemble, j'ai fait un petit stage chez lui et il m'a appris beaucoup de choses.

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-Comment produit-on, de la première à la dernière étapes, un chicon ?

C'est beaucoup de travail! Il faut d'abord semer la chicorée en mai. Puis faire cultiver la racine, qu'on récolte en septembre-octobre. Vers la fin janvier on doit planter les dernières racines, puis on stocke le reste.

En gros, on sème en mai et on plante en hiver. D'habitude on plante les dernières en février pour avoir des chicons jusqu'en avril. Alors en mai on recommence à semer.

Et entre-temps, on récolte aussi les graines. On fait les chicorées de mai à septembre-octobre et jusqu'en décembre tant que ça n'a pas trop gelé. En tout, ça prend entre 4 et 5 mois. Après, ça peut prendre un peu plus d'un mois de produire les chicons. Et ça sans compter la production de graines. On les sème en avril, on récolte les dernières racines, on sélectionne les meilleures, puis on les plantes pour faire pousser encore des graines. Un an après, ça fleurit pendant l’été. En septembre les graines sont prêtes, on les coupe, on les nettoie, et on doit aussi les calibrer. Pendant le nettoyage avec un moulin spécial, on enlève toutes les mauvaises graines, celles qui sont vides. Celles qui sont bonnes servent à semer pour l’année d’après. Donc en fait c'est l'année d'après que tu sèmes les graines pour faire les chicons. C'est pour un an et demi plus tard. Le cycle total est de deux à trois ans.

-Tu ne rachètes jamais de graines ?

Non, parce que je travaille avec une sorte de chicon traditionnel au label spécifique. On n’a pas de graines hybrides. Et c'est cultivé pleine terre, comme on faisait il y a 100 ans.

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-Qu'est-ce que ça change si tu utilises des graines hybrides ?

Les graines hybrides, il ne faut déjà pas trop les acheter, c'est de la biotechnologie. Elles sont sélectionnées, elles sont uniformes. Je ne cultive presque pas d'hybrides, même pas pour mes carottes. Parce que je trouve que les anciennes sortes ont un meilleur goût surtout pour les chicons.

Nous, on sélectionne nous-mêmes les graines pour avoir un chicon à notre goût, qui nous ressemble, qui reflète notre propre caractère. On fait notre propre sélection. On prend ce qu’on aime bien.

Tandis que les graines hybrides sont seulement sélectionnés pour être résistantes aux maladies, pour être productives. De plus, les graines hybrides sont cultivées pour qu’elles germent sans être enterrées.

-Pourquoi cultiver les chicons dans l'obscurité ?

Parce que si on ne le faisait pas, ils ne seraient pas blancs. C'est un légume blanchit. En le cultivant de cette manière, la chlorophylle ne se développe pas, il n'y a pas de photosynthèse. C'est une technique du Moyen Âge. À l’époque, on les couvrait avec des pots. Et comme les feuilles sont blanches, elles sont moins amères. La chicorée est très amère et quasi immangeable si elle n’est pas cultivée dans l’obscurité.

Souvent dans les magasins on voit les chicons avec des feuilles vertes, c'est parce qu'ils sont mal stockés, ils restent trop longtemps exposés à la lumière et ils seront très amers. C'est pour ça qu'une fois qu'ont les récoltes, tout doit aller très vite et être fait dans l'heure. On les nettoie et on les emballe toute de suite. On les recouvre de papier ou plastique pour qu’ils restent protégés de la lumière.

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-Comment en as-tu fait ton activité principale ?

Je viens de la ville et je me promenais ici à Jette quand j'étais petit. J'ai toujours bien aimé la nature et je n'arrivais pas à m’intégrer dans l’économie actuelle, ça ne m’allais pas. Je n’ai pas pu faire d’études et je ne réussissais pas à garder un boulot qui me plaisait, ça me rendait malheureux. Donc travailler pour moi-même était la meilleure option. Prendre mes propres décisions et travailler à mon propre rythme. J'aurais pu faire une autre chose aussi, mais ça me plaît beaucoup de travailler à l’extérieur dans la nature.

-Est-ce que ta famille est impliquée dans ton travail ?

Je travaille tout seul mais j'ai essayé de trouver des partenaires. Ça intéresse beaucoup de monde mais personne ne veut vraiment s'impliquer. Il faut faire des sacrifices, ce n'est pas un boulot de 9h à 17h. Il faut vraiment y aller, quand le boulot doit être fait, il doit être fait. Pendant des semaines tu ne peux pas prendre des congés, parfois même pas du tout. Ces dernières années, je n'ai pas pris de congés du tout. Il faut aussi travailler par tous les temps, c'est très dur. Pendant des années je n’ai même pas pu me payer. Maintenant ça va beaucoup mieux. Heureusement que mon épouse a un travail parce que quand j’ai commencé, j’investissais tous mes revenus dans du matériel.

 Maintenant je gagne 500€ par mois, c'est déjà plus que l’année passée, et ça va de mieux en mieux.

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-À quel moment as-tu décidé de travailler pour toi-même ?

Ça m'a pris plus ou moins 10 ans. J'ai longtemps cultivé des légumes sur ma terrasse. Bien que déjà quand j’étais petit, j'avais un jardin et je cultivais des tomates, je piquais les mauvais herbes, etc. Quand j'ai rencontré mon épouse, je me suis dit que je devrais avoir un revenu pour avoir une famille et assurer notre maison. Et j'ai cherché mais ça n’a pas été concluant. J'ai travaillé comme réceptionniste et j'ai été viré parce que je n'étais pas assez "dynamique". C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me lancer, je me disais: “j'ai 35 ans, c'est maintenant ou jamais que je dois le faire parce que sinon je ne vais pas le faire du tout.” J'ai tout appris en autodidacte. Je n'avais pas de terre, je n'avais pas de matériel et presque pas de connaissances mais je me suis lancé sur la volonté, ça a été très dur.

-Et pourquoi les chicons ?

Parce qu’à Haren j'ai rencontré des vieilles personnes pour qui les chicons font partie de leur vie et ça me parlait beaucoup. Je me suis dit que je ne pouvais pas travailler la terre ici sans faire comme eux. Il fallait faire vivre le chicon et je me suis engagé un peu dans la protection des espaces verts. C’est vraiment important dans la région ! C'est le triangle traditionnel Louvain-Malines-Bruxelles et tout le monde ici a un lien avec le chicon. Ceux qui ont plus de 40 ans se souviennent que quand ils étaient enfants ils ont travaillé avec les chicons. C'était presque inévitable. Je ne l'aurais pas fait si j'avais commencé à Boisfort ou à Anderlecht, mais à Haren c'était inévitable.

Ça me plaît beaucoup parce que c'est un chouette légume. Comme il pousse sous terre, à un moment ses feuilles blanches sortent et il faut les séparer de la racine, ça fait un petit « click ! » et c'est un chouette moment !

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CET ARTICLE A ÉTÉ RÉALISÉ EN PARTENARIAT AVEC LE RÉSEAU DES GASAP BRUXELLOIS