Bruxelles abrite bien plus d’animaux sauvages qu’on ne l’imagine! Quand on parle des animaux citadins, on pense aux pigeons et aux rats, mais qu’en est-il des autres espèces? Et comment vont-elles? La population humaine mondiale s’urbanise de plus en plus, et sans nature sauvage en ville il est impossible de sensibiliser ses habitants à la biodiversité. C’est pourquoi protéger nos espèces bruxelloises est un point essentiel pour sensibiliser les citadin.e.s que nous sommes à la nature sauvage. Entretien avec Alain Paquet de l’asbl Natagora. On y parle biodiversité, bioxénophobie et ville du futur.
Quelles espèces d’animaux sauvages peut-on croiser à Bruxelles?
On peut rencontrer énormément d’espèces, cela dépend du degré d’urbanisation de la surface. Même quand l’urbanisation est très forte, le monde sauvage s’adapte. Certaines espèces parviennent parfaitement à s’adapter et la biodiversité est très grande en ville, contrairement à ce que l’on peut croire. Par unité de surface, si vous prenez un parc par exemple, il y a plus d’espèces dans cette superficie que dans une même superficie prise au hasard en Wallonie. Car il y a un effet d’îlot en ville, les espèces qui y vivent s’y accrochent, ce qui rend la biodiversité énorme.
A Bruxelles, on peut rencontrer plusieurs espèces d’oiseaux, dont certaines ne se portent pas bien. Comme les oiseaux migrateurs tels que les hirondelles, les martinets, les petites fauvettes et les rousserolles, ou les oiseaux des jardins tels que les merles, les rouges-gorges et les troglodytes. Ce sont des espèces insectivores et en Europe occidentale la biomasse des insectes est en train de s’effondrer ce qui fait que le nombre de ces oiseaux est en chute libre. On les retrouve notamment dans les friches, qui disparaissent elles aussi à cause de l’urbanisation.
Quant au moineau domestique, sa population a baissé de 95% en 30 ans à cause du manque de lieux d’habitats, des nouvelles rénovations, du manque d’insectes et de graines, de la pollution.
Il y a tout de même des espèces qui se portent bien ! Ce sont les espèces arboricoles forestières donc les espèces de la forêt de Soignes mais aussi des grands parcs. Les arbres anciens offrent énormément de bois morts, d’insectes, de cavités. Il y a donc des espèces d’oiseaux cavernicoles qui sont très à l’aise dans les grands parcs. Les espèces d’oiseaux aquatiques se portent bien également. Avant, Bruxelles était une Région avec beaucoup de marais et de lacs qui ont disparus mais maintenant tout les étangs des parcs ont vu leur qualité augmenter grâce à Bruxelles Environnement qui un fait un travail extraordinaire à partir des années 2000 pour renaturaliser les bords des étangs : remettre des ceinture de végétation, enlever les carpes. Les algues sont revenues, puis les insectes et ensuite les oiseaux.
On voit aussi un retour en ville d’espèces qui avaient totalement disparu comme les rapaces. Le faucon pèlerin par exemple, est revenu en Belgique après avoir complètement disparu. Sur 19 communes de la région Bruxelloise, il y a maintenant 15 couples reproducteurs, plus que partout ailleurs en Belgique. Les renards sont aussi revenus en masse à Bruxelles alors qu’il était vraiment l’animal des campagnes. Il est extrêmement commun ville. Il est devenu un peu charognard, un peu clochard, il se nourrit des poubelles plus que de rats. La fouine a réinvesti la ville également, il y en a absolument partout.
Ce qui nuit finalement le plus à toutes ces espèces est le fait de s’être adaptées à l’espèce humaine, non?
Oui effectivement. Au départ ces animaux ne vivaient pas vraiment avec les êtres humains et puis ils ont trouvé dans les jardins, les potagers et les friches urbaines un milieu extrêmement favorable et s’y sont donc installés et sont devenus nos compagnons. En fait, les espèces rares comme les rapaces et les cigognes ont été tellement bien protégées qu’elles se sont bien redressées mais les espèces communes sont en train de s’effondrer. Et c’est dramatique parce que ça ne se voit pas.
Quand une espèce commune se porte mal, c’est vraiment un signal d’alarme que quelque chose ne va pas.
Pourquoi est-ce que tous ces animaux trouvent refuge en ville?
Ils ne se réfugient pas en ville, ils sont tout aussi présents en dehors des villes, mais les villes ne les arrêtent pas. A Bruxelles, toute la faune sauvage est intégralement protégée. Il est interdit d’attraper un hérisson, une souris grise, un renard ou une fouine. Les derniers milieux naturels qui existent, hormis les friches, sont protégés également. Et on vit dans une société de consommation à outrance où la quantité de déchets alimentaires est gigantesque, c’est de la nourriture disponible pour les animaux. Même les cigognes blanches profitent de nos déchets à Bruxelles. La ville offre aussi un paysage plus varié que la campagne, toutes les maisons jouent un peu un rôle de falaises, il y a quelques petites rivières, il y a plus de parcs avec de très vieux arbres qu’en Wallonie, il y a un canal, tout cela attire beaucoup d’espèces différentes.
Qu’en est-il des animaux qu’on appelle communément les « nuisibles »?
C’est un terme qu’on n’utilisait déjà plus il y a 50 ans ! On l’entend encore beaucoup dans la bouche des gens mais plus du tout de manière officielle. Le terme « nuisible » veut dire que nous, espèce animale humaine, considérons qu’une autre espèce animale lui est nuisible.
Est-ce que les autres espèces ne considèrent-elles pas l’espèce humaine comme nuisible ? Le terme nuisible est un point de vue tout à fait anthropocentré.
Nous sommes l’espèce la plus nuisible à l’environnement, la plus envahissante, la plus menaçante, la plus invasive et nous osons déclarer que certaines espèces sont envahissantes et invasives !
N’oublions pas que nous avons une dette envers les espèces « envahissantes » comme les perruches à collier. Ces espèces n’ont pas demandé à être capturées, mises en cage, maltraitées, transportées en bateau, revendues comme oiseaux de cage. Certaines réussissent à s’échapper et on le leur reproche. Il faut stopper absolument le commerce et la détention de toute espèce sauvage mais qu’on laisse tranquilles celles qui sont déjà là.
Qu’en est-il d’ailleurs des espèces exotiques?
Une des caractéristiques de la biodiversité urbaine c’est d’avoir des espèces exotiques plus qu’ailleurs. A Bruxelles il y a surtout 5 espèces exotiques : 2 aquatiques qui sont la bernache du Canada et l’ouette d’Egypte, et 3 perruches qui sont la perruche à collier, la perruche alexandre et une perruche argentine qui s’appelle la conure veuve. Ces 5 espèces sont en nombre assez important à Bruxelles. C’est un sujet extrêmement clivant autant chez les autorités que chez le public que dans le monde scientifique. Certains disent que les perruches vont prendre la place de nos espèces indigènes, le logement de nos oiseaux, la nourriture de nos oiseaux, vont menacer notre faune indigène. C’est un discours bioxénophobe. Chez Natagora nous avons été missionnés pour étudier l’impact de ces animaux et les nuisances à l’activité humaine et leur impact sur l’environnement. Chez les perruches on ne voit aucun impact malgré tout ce qu’on peut dire.
Il y a une nouvelle nature qui est en train de se mettre en place, avec des faucons pèlerins et des perruches, et avec des espèces qui disparaissent comme les insectivores. Et vu que cette nature ne correspond pas avec la nature que les vieilles personnes ont connue dans leur jeunesse, ces personnes disent que c’est nouveau et que ça n’a jamais été ainsi. En fait, rien n’a jamais été ainsi.
Même au 19ème siècle la nature n’était pas ce qu’elle était au 18ème parce que s’il y a bien une chose qui bouge tout le temps c’est la nature.
Cette nouvelle nature qui est particulièrement visible en ville est un sujet clivant et qui fait remonter tous les préjugés. La perruche n’est pas de chez nous ? Mais combien de siècle faudra-t-il encore attendre pour qu’on reconnaisse qu’elle est de chez nous ?
Comment peut-on imaginer la ville du futur où les humains et les animaux auraient chacun leur place ? Que pourrait-on changer à Bruxelles pour que tout le monde puisse cohabiter de façon sereine?
Qu’on laisse tout d’abord les friches telles quelles, qu’on ne les construise pas. Il reste quelques petites friches industrielles ou ferroviaires. Or, avec toutes les nouvelles vagues de chaleur qui s’annoncent à cause du réchauffement climatique, c’est le moment de verdir les villes.
Si on augmente la superficie verte, que ce soit des forêts, des friches, des marais, peu importe le type d’espace vert, les villes seront moins chaudes, plus vivables pour les êtres humains et les espèces animales.
Certaines communes de Bruxelles sont en train de créer des zones non tondues dans les parcs ou bien ne font pas la dernière tonte pour laisser les plantes en graine tout l’hiver. Bruxelles Environnement est aussi en train de rouvrir la Senne et de la remettre à l’air libre, c’est remarquable ! A la gare du Nord, au niveau de la ferme Maximilien, ce sont 900 mètres de Senne qui vont être déterrés. Il y a déjà des parcours de Senne qui ont été remis à ciel ouvert à Needer-over-Hembeek, et tout de suite la grande colonie d’hirondelles locale a augmenté.
Il est également important d’avoir une politique d’architecture « biodiversité bienvenue » ou « provivante », c’est-à-dire concevoir des bâtiments modernes, tout à fait isolés et passifs mais avec des nichoirs intégrés. Il y a tout un mouvement d’architectes sensibilisés à la biodiversité qui conçoivent des maisons où les papillons peuvent hiverner, les chauves-souris y vivre, les martinets et les moineaux nicher dans le mur, sans que cela détruise l’aspect esthétique de la maison.
Il y a des choses à faire autant pour les citoyens que pour les autorités politiques. Les citoyens peuvent faire pression sur leurs élus pour sauver la biodiversité. Et s’ils ont la chance d’avoir un jardin, qu’ils y réservent une petite partie à la nature et qu’ils évitent à tout prix de mettre des insecticides, des fongicides, des engrais. Il y a plein d’autres conseils sur le site du réseau nature de Natagora, autant pour le nourrissage des oiseaux que pour le respect de la biodiversité. Et surtout réclamez auprès de vos élus plus de nature !
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Alain Paquet nous conseille de regarder le film Bruxelles Sauvages qui interroge la place des animaux sauvages dans la capitale de l’Europe.
N’hésitez pas à faire un don à Natagora afin de créer de nouvelles réserves naturelles et ainsi offrir un espace sécure pour les insectes, plantes, oiseaux et autres espèces sauvages.
Signez également le manifeste pour la nature comme solution climatique!
Illustrations: Thibault Gallet