Leo Not Happy et l’action collective

Automne 2018

Il ne faut pas se laisser tromper par sa petite taille. Un seul mégot de cigarette pollue 500 litres d’eau grâce aux 4000 produits chimiques différents qu’il contient. Il suffit de moins d’une heure pour que ces produits se diluent dans les eaux de ruissellement et se propagent dans nos mers. On estime que les deux tiers de la quantité totale de cigarettes vendues chaque année dans le monde, nous parlons ici de milliards de mégots, finissent dans la nature. Ça fait peur n’est-ce pas? Heureusement, Adel Saebi, convaincu de la force de l’action collective, préfère inspirer l’engagement et changer la dynamique, mégot par mégot. Depuis 2016, il organise des ramassages de mégots à Bruxelles. Son initiative, Leo Not Happy, cherche à sensibiliser au travers d’actions positives en intensifiant la participation citoyenne. Aujourd’hui, Leo Not Happy compte plus de 23.000 citoyens engagés et ce nombre augmente à chaque événement ! Nous sommes allées à sa rencontre. Entretien.


Les mégots. Quand il s’agit de propreté publique, ce n’est pas vraiment le premier type de déchet qu’on imagine ramasser, qu’est-ce qui t’a motivé à concentrer tes efforts sur les mégots?

Un an après avoir lancé Leo Not Happy, je me suis rendu compte que durant mes ramassages il y avait un déchet qu’on ne ramassait jamais parce qu’il est petit, qu’il faut se pencher tout le temps et surtout il y en a trop, toujours trop. Il y avait une incohérence dans le message de mon initiative: « il faut ramasser les déchets, mais il ne faut pas ramasser les mégots parce que c’est trop compliqué ». Ça n’allait pas, il fallait organiser un ramassage uniquement de mégots et concentrer les forces. C’est donc vers fin avril 2017 que j’ai organisé le premier grand ramassage de mégots à Bruxelles et en avril de cette année le deuxième, cette fois-ci dans cinq grandes villes de Belgique. C’est vrai que depuis ces deux grands événements je me suis principalement focalisé sur ce type de déchet qui est très oublié, que beaucoup de gens n’ont même pas conscience que c’est un des déchets les plus polluants. Je ne veux pas qu’on étiquette Leo Not Happy = mégot, je sensibilise aussi sur tous les déchets qu’on peut trouver sur la voie publique.

Avais-tu déjà travaillé pour un projet écologique? Comment Leo Not Happy a démarré?

Avant de commencer Leo Not Happy, je ressentais le besoin de trouver un moyen de sensibiliser les gens à une cause environnementale. Je ne voulais pas parler de sujets comme le réchauffement climatique ou la fonte des glaces polaires parce que j’ai l’impression que ces sujets sont tellement grands qu’en tant que citoyen on ne peut pas vraiment apporter de solutions, que c’est plutôt aux entreprises et aux gouvernements de faire quelque chose.

Souvent on a l’impression qu’on ne peut pas avoir un impact direct. Donc j’ai réfléchi à un moyen d’engager les gens de manière locale et concrète.

Le problème qui revient souvent à Bruxelles c’est la propreté, alors j’ai voulu travailler sur la sensibilisation à la propreté publique. J’ai vite compris que si je prenais simplement des photos des déchets en rue pour après les diffuser sur les réseaux sociaux je n’allais inciter que des réponses négatives du type “les Communes, les pouvoirs publics, la Région ne font pas leur travail de nettoyage”, “les citoyens sont sales et jettent leurs déchets par terre”. Non, ça n’est pas du tout le message que je voulais faire passer. Le petit personnage que je mets à coté des déchets m’aide à apporter une touche humoristique. Grâce à ça, j’ai eu énormément de retours de gens qui me suivaient et ce sont eux qui m’ont demandé d’organiser le premier ramassage qui a été lancé en avril 2016. Depuis cette date, je n’ai pas arrêté d’en faire.

Pendant la conversation sur la gestion des déchets à laquelle tu as participé, nous avons discuté de la problématique du plastique à usage unique et le besoin de changer nos modes de consommation. Est-ce que Leo Not Happy aborde cette réflexion?

Notre premier message n’est pas « il faut réduire les déchets », mais plutôt qu’il faut simplement jeter les déchets dans la poubelle! Mais c’est vrai que lors des ramassages on discute et il y a un petit travail de réflexion: que sont ces déchets qu’on est en train de ramasser? Est-ce qu’on a véritablement besoin de ces produits? Et comment ça serait si on consommait seulement des produits organiques sans emballages? Mais ce qu’on retrouve dans les rues ce sont des emballages, des cigarettes, des paquets des chips, etc.

Est-il possible de recycler les mégots ?

Partout dans le monde, naissent des initiatives qui se lancent dans le recyclage de mégots. Certaines essaient d’utiliser les mégots pour en faire du papier, d’autres, comme en Corée, essaient d’en faire des batteries. Et en France il y a une entreprise qui s’occupe de recycler les mégots grâce à un processus de dépollution et transformation de la matière. Ce sont de petites initiatives qui n’arrivent pas encore à avoir un grand impact parce qu’il est encore très cher de valoriser et dépolluer les mégots. Par exemple, si j’ai mille mégots et que je veux les donner à cette entreprise je dois payer pour le faire. Ça n’a pas beaucoup d’intérêt pour le fumeur de garder ses mégots pour ensuite les donner à cette entreprise. Le problème est qu’il n’y a personne encore qui peut prendre en charge le coût financier de ce type de recyclage. Comme c’est le cas, par exemple, pour les emballages. Les « emballeurs » participent au recyclage, au tri, aux campagnes de sensibilisation pour que ces déchets ne se retrouvent pas dans la nature. Mais au niveau des mégots, les fabricants de cigarettes ne font rien par rapport à la collecte des mégots sur la voie publique, ils ne les recyclent pas. Donc c’est un problème oublié essentiellement parce qu’il n’y a pas l’opinion publique derrière.

S’il y avait plus des citoyens concernés, le gouvernement serait obligé d’écouter le message et pousserait les fabricants à s’en occuper.

Mais il y a peu, la Commission européenne a lancé une directive pour tous les Etats membres expliquant qu’il faut réduire, voire bannir le plastique à usage unique ainsi que les sacs en plastique. Et cette directive inclut aussi une mention sur les cigarettes, disant qu’à partir de maintenant les fabricants devront participer à la collecte des mégots et au recyclage de ceux-ci. En France, le gouvernement faisant appel à la responsabilité élargie du producteur,  a invité les producteurs de cigarettes à trouver des solutions pour sensibiliser la population à la collecte et au recyclage des mégots. Ils devront soumettre des propositions d’engagements concrets avec des solutions efficaces pour la collecte et le traitement des déchets. S’ils ne s’engagent pas à trouver des solutions alors le gouvernement va augmenter le prix des cigarettes et cet argent-là sera destiné à la collecte et au nettoyage des voies publiques. À San Francisco (États-Unis), il existe depuis 2009 une taxe ajoutée sur chaque cigarette l’équivalent à 0,15 euro, afin de couvrir les coûts de ramassage et de nettoyage des rues.

As-tu des nouveaux projets que tu souhaites développer cette année?

Maintenant je suis prêt à lancer Leo Not Happy en ASBL. J’ai été sollicité par la secrétaire d’Etat à la Région de Bruxelles-Capitale, Fadila Laanan, pour collaborer au développement d’une cellule de sensibilisation pour la capitale. Il existe déjà ce type d’organismes en Wallonie et en Flandre, mais pas encore à Bruxelles. Leur particularité est qu’elles sont des organisations à la fois publiques et privées. Publiques parce qu’elles sont sous la tutelle d’un ministre et privées parce qu’elles sont financées par des entreprises privées. Ce sont généralement des entreprises qui emballent des produits et qui donnent cet argent pour créer des campagnes de sensibilisation par rapport aux déchets.

Pour répondre à ta question, un des volets que je voudrais développer maintenant, se passe autour des personnes qui commettent des incivilités sur la voie publique. Pour leur donner l’option de soit payer une amende soit participer à un ramassage citoyen de déchets. L’objectif est de générer un déclic plus profond. Il est vrai que certaines personnes réagissent dès qu’on touche à leur portefeuille. Mais je trouve que c’est plus intelligent et constructif et la prise de conscience est plus grande en invitant à se responsabiliser. Cependant, les amendes restent nécessaires parce qu’il faut réprimer les mauvais comportements de ceux qui sont de mauvaise volonté.

Je suis aussi en train de créer un réseau d’ambassadeurs pour que les gens qui veulent agir n’aient pas besoin d’attendre l’organisation d’un ramassage de Leo Not Happy pour participer et agir directement sur la ville. On prévoit de les fournir d’un kit avec gants, pinces, cendriers de poche, ils auront tout le matériel nécessaire pour se lancer eux-mêmes. Cela permet qu’il y ait une sensibilisation continue entre citoyens. Le contenu recueilli par ces ambassadeurs sera relayé sur la page Facebook de Leo Not Happy, en espérant inspirer plus de personnes. Voir un citoyen ramasser des déchets en rue motive d’autres personnes à le faire également.

Connais-tu une chouette initiative bruxelloise que tu aimerais partager avec nous?

Oui! Il y a une initiative citoyenne qui travaille au niveau de la qualité de l’air à Bruxelles qui s’appelle Bruxsel’air. Ils font des campagnes de sensibilisation et des actions sur le terrain, un peu comme Leo Not Happy mais autour de la qualité de l’air à Bruxelles. Ils ont aussi été sollicités par le gouvernement pour développer des solutions. La pollution de l’air est assez nocive pour notre santé. En plus ils sont très sympas!

Pour rejoindre Adel dans ses prochaines actions suivez l’actualité de Leo Not Happy sur Facebook.


Illustrations: Pauline Rivière