Dans la rubrique 24H, nous invitons des producteurs du Réseau des GASAP Bruxellois à partager avec nous leur quotidien à l'aide d'un appareil photo jetable.
Julien Hanse travaille son champ près de Charleroi comme un jardinier. En essayant d’aller toujours dans la même direction que la nature, il observe et expérimente des manières d’intervenir en perturbant le moins possible le cycle naturel de son terrain. Il cultive une centaine de variétés de légumes qu’il distribue dans trois groupes d’achats solidaires à Bruxelles. Il nous en dit plus sur son projet.
Sur ton blog, tu parles de l'intérêt des semences bio, peux-tu nous en dire plus?
Je travaille avec des semenciers qui ont une démarche complémentaire à la mienne. J’achète mes semences principalement chez Bingenheimer saatgut, qui est une coopérative allemande, et chez Semailles, qui est un petit semencier belge. Ils font tous les deux des semences à pollinisation libre, ce qui veut dire qu'on peut les reproduire si on veut. Ce sont des semences qui n'ont pas été croisées, elles ne sont pas hybrides.
En bio tu peux tout à fait utiliser des semences hybrides, tu peux même utiliser des semences qui ne sont pas bio. Le bio n'est qu’un cahier de charges très théorique. Mais en pratique, est-ce que ça amène une vraie amélioration? Probablement par rapport aux produits non-autorisés qui sont exclus, mais je ne pense pas que le « label bio » est un facteur qui favorise la biodiversité dans nos campagnes ou qui améliore la qualité de nos légumes. Parce qu’on peut faire du « bio » de très mauvaise qualité et ça peut tout à fait fonctionner dans le cadre du label bio.
En quoi augmenter la biodiversité en campagne aide à produire des légumes de meilleure qualité ?
Je ne suis pas agronome ni scientifique mais augmenter la biodiversité, laisser la nature s'exprimer aux abords des champs permet d'amener des formes de vie différentes. Il va y avoir forcément des interactions entre les légumes. Des mycorhizes par exemple, qui sont des associations entre des champignons et des végétaux. En plus, les plantes s'échangent énormément de données, d'infos, de molécules. Elles sont capable d'alchimie, de transformer des molécules et c'est important de laisser s'exprimer tout ça. Je pense qu'il faut « foutre la paix » à son sol et ramener un maximum de biodiversité. C'est ma conviction.
En tant que maraîcher, quand je pense à la biodiversité je me demande: est-ce que je permets à l'environnement de vivre par lui-même?
Comment es-tu arrivé à ce métier ?
C'est ma quatrième saison tout seul. Avant, j'avais fait une saison à la ferme urbaine à Neder over Heembeek c'est là que j'appris le métier. J’ai débarqué là-dedans un peu par hasard, un peu désœuvré. À l'époque, j'étais assistant caméra dans le cinéma, j'avais de moins en moins de travail et mes périodes de pause étaient de plus en plus longues donc j'ai commencé comme bénévole à la ferme. Je crois que le moteur a été une question d'idéologie, l'envie de ramener quelque chose de plus humain, plus cohérent que ce que je faisais dans mon ancienne activité, même si j'aimais beaucoup ce que je faisais dans le cinéma.
Qu'est-ce que tu conseillerais à quelqu'un qui voudrait se lancer dans le maraîchage à petite échelle ?
D'abord de commencer petit et puis de ne pas hésiter à rester petit. Et aussi d'aller voir ailleurs, de rester curieux et regarder comment travaillent les autres maraîchers, surtout ne pas rester tout seul dans son champ. Et pour finir de garder le plaisir de faire ce qu'on aime, les burn-out chez les maraîchers sont très courants. Parfois c'est un vrai combat, il y a des jours où on n'a pas forcément envie de le faire. C'est très important de trouver le bon équilibre, mais si tu es content dans ton champ, tu n'as pas vraiment besoin de vacances.
Quelles sont les difficultés que tu rencontres dans ton métier ?
Pour le moment le plus grand challenge, c'est de trouver comment cohabiter avec les limaces et les rongeurs ! Cette
année entre le 30% et le 40% de ma production est partie à cause d'eux. Si j'arrive à régler ce problème, je pourrais augmenter la quantité de paniers que je produis. Au niveau du climat, c'est la sécheresse belge qui pose problème. Les maraîchers qui ont un peu plus de bouteille le disent: ils sont moins sûrs de leurs dates de semis. Ce n'est plus si simple malheureusement.
Quels légumes ne manquent jamais dans ton assiette?
Ça dépend de la saison ! En hiver, il y a vraiment une diversité énorme de courges tant au niveau de la couleur que du goût. C'est comme les tomates en été. Cette année, j'ai découvert la « courge delicata ». C'est une petite courge très farineuse qui est un super liant pour certains plats. Elle est un peu sucrée et très goûtue. Sinon j'ai plutôt des périodes de boulimie. Par exemple quand les premiers concombres arrivent, je vais en manger un ou deux par jour, je les cueille et je les mange tout cru. Et puis à un moment j'en ai eu assez et je passe à un autre légume. Le fait de vivre tout le temps dehors habitue le corps à prendre le rythme de la nature et à composer avec ce qu'il y a.
Tu fais partie du projet pilote du réseau des Gasap bruxellois pour créer un système de garantie participative. De quoi s'agit-il ?
Ça fait déjà un an qu'on travaille dessus. C'est un moyen pour le réseau de concrétiser la charte qui donne les lignes directrices de l’association qui est parfois un peu abstraite à appliquer, alors il faut mettre des jalons. Et c'est justement ces jalons qu’on essaie d’expérimenter avec quelques producteurs, mangeurs et bénévoles du réseau.
Par intermédiaires de visites de champs, on a mis en place un questionnaire pour chaque acteur. Cette info permettrait de mieux positionner les producteurs au niveau de leur travail et ça va aider les groupes d'achats dans leurs relations avec les producteurs. Tout ça dans le but, non pas d’exclure qui que ce soit, mais de faire avancer. Ça va aussi permettre de renforcer l'identité du réseau. Sa grande force est l'aspect solidaire et engagé. Dans une époque où la diversité de l'offre de légumes bio est très importante, ce réseau a un rôle à jouer. Malgré le nombre de nouvelles épiceries qui ouvrent à Ixelles, je compte toujours avec un groupe intéressé par la démarche de soutien à l'agriculteur. Ça permet à des agriculteurs pas certifiés bio d'avoir une certaine crédibilité dans leur travail.
J'ai été certifié auparavant, mais à partir du moment où je connais tous mes clients et qu’eux peuvent me poser des questions et visiter mon
champ, je ne vois pas l’intérêt de la certification. Finalement, le cahier des charges du bio est assez vite falsifiable et ne garanti pas la qualité nutritive ni gustative des légumes. Ce label contrôle qu'il n'y a pas utilisation de produits non-autorisés. Mais par exemple, la saison passée a été très humide et le label a relevé le seuil d’utilisation de la bouillie bordelaise qui est un fongicide qu'on met sur les patates. Au final, si on commence à jouer avec les limites je ne vois pas trop l’intérêt du contrôle. C'est déjà un produit très mauvais pour le sol, je ne comprends pas pourquoi il est autorisé. La certification bio ne va pas assez loin à mon goût, je l’ai donc abandonnée.
Quelles sont tes perspectives pour le futur proche ?
J'aimerais avoir un système de travail qui me ressemble, où je retrouve une cohérence et de l'autonomie. Ça me tient à coeur, pas de faire tout tout seul, mais que la boucle soit au maximum bouclée. Et puis, multiplier les possibles, étape par étape, et ramener la cohérence dans chaque aspect de mon travail.
Dans le champ, ça serait replanter les haies et travailler sur plusieurs étages. Cette année, j'aimerais faire passer du houblon au-dessus de mes légumes pour avoir des interactions.
Dans la relation avec les groupes du réseau des Gasap ça serait de rentrer dans un soutien de plus en plus actif, où je deviens plus le « jardinier d'une communauté » que le producteur d'un consommateur. J'aimerais que mes groupes d’achat se réapproprient le projet pour qu’il devienne un projet de collectivité plutôt qu’une entreprise de légumes.