Logée entre des immeubles d’habitation derrière le square Gérard Van Caulaert à Saint-Gilles, La pousse qui pousse est LA pépinière durable de Bruxelles. Vous pouvez y trouver des plants à repiquer, des semences biologiques, des aromates, des kits pour faire pousser votre potager sur votre balcon ou terrasse; mais c’est aussi un lieu d’échanges de bonnes pratiques et de formations de jardinage. Rencontre avec Lionel Boyer, l’un des coordinateurs du Début des haricots, l’asbl qui est à l’initiative de La pousse qui pousse et de plein d’autres projets bruxellois liés à aux thématiques de l’alimentation et de l’environnement.
NDLR: Cette interview date de 2018. Depuis Lionel Boyer a quitté Le début des haricots et le contexte et la situation de La pousse qui pousse a changé. Nous mettrons bientôt à jour cet article.
Comment est née la pépinière La pousse qui pousse?
C'est Filippo Dattola, un ancien du Début des haricots, qui a créé La pousse qui pousse. Il a profité de l'occasion des contrats de quartiers durables. L'idée était de reverduriser le quartier et de créer de la cohésion sociale. Au départ de La pousse qui pousse, il y avait un kit pédagogique pour pouvoir aménager sa terrasse, son balcon et aussi des moments de rencontres avec les habitants du quartier. Tout ça a pris tellement d'ampleur que ç’en est devenu une pépinière. C'est aujourd'hui une des rares pépinières durables et écologiques de Bruxelles. Tout Bruxelles vient à la pépinière pour se fournir en plantes de saison et locales.
La pépinière se trouve sur un ancien terrain vague qui fait partie du Foyer du sud qu'on a réinvesti et on y a posé deux serres. L'endroit est ouvert à tous, on y accueille des associations qui viennent faire des formations, les enfants du quartier viennent et accompagnent Olivier dans la production.
Qu'est-il aujourd'hui de ce contrat de quartier durable?
Le contrat de quartier durable nous a permis de recevoir des subsides pendant trois ans. À la fin de ces trois ans nous voulions avoir une certaine autonomie afin de montrer que des initiatives comme la nôtre pouvaient exister en dehors de cadres où on a essentiellement des subsides qui maintiennent un emploi. Mais ce n'est pas si évident de pouvoir être autonome. La proposition était d'aller dans une phase de transition, avec la commune qui offrait un soutien. Finalement nous n'avons reçu aucun retour et aucune garantie d'avoir un soutien financier à ce niveau-là. On voulait de toute façon travailler avec la commune puisqu'on était dans le local et qu'on voulait participer à la reverdurisation de celle-ci. Sans retour de leur part, on a lancé le projet sans subsides. C'était dur, on avait moins de travailleurs mais une surcharge du travail et une augmentation de la production pour payer les salaires tout en gardant des prix abordables pour que ça soit accessible à tous.
J'allais te demander quels avaient été les challenges durant le contrat de quartier durable mais c'est maintenant que vous faites face aux plus gros défis.
Oui parce qu'en terme de soutien financier le contrat de quartier durable est vraiment intéressant quand on part de rien. Ce contrat nous a permis d'acheter des serres et du matériel.
Le défi était de sensibiliser la population. Il y a vraiment une partie qui est gagnée: on a verdurisé l'ensemble de l'espace dans lequel on se trouve et le projet a permis aussi de verduriser plusieurs lieux dans Bruxelles.
C'est un lieu que les gens adorent fréquenter et il y a d'autres associations de cohésion sociale qui viennent nous voir. On n'est pas juste dans de l'environnemental mais on est aussi dans de la citoyenneté et de la mixité sociale.
Ce n'est pas toujours évident de toucher des gens qui ont moins les moyens ou qui vivent dans des logements sociaux parce qu'il y a de la méfiance et parce que quand tu as une vie précaire tu as moins le temps de t'occuper des petits plants. En tous cas, tu n'es pas forcément dans cette dynamique-là. Et pour qu'on touche ces personnes c’est un travail qui se fait sur du long terme et ça c'est un défi à remplir.
Comment fonctionne La pousse qui pousse au jour le jour?
La pépinière est ouverte de mars à fin octobre avec des permanences d'accueil le mercredi, vendredi et samedi .
Pendant l'hiver il y a un travail de rangement, de réaménagement et de préparation des plants. Dès février il faut commencer les plants pour mars.
Connais-tu d'autres modèle de pépinière durable en Belgique?
Personnellement je n'en connais pas d'autres mais j'imagine que ça existe. Un peu dans la même veine et tout aussi intéressant il y a le Prinzessinnengarten à Berlin. Eux aussi sont dans du hors sol comme nous. Ils ont récupéré un ancien terrain rempli de gravats et ils en ont fait un lieu de vie incroyable. Tout est sur bac, il y a des petits arbustes, il y a des constructions avec palettes récupérées, etc. Ils développent aussi une production de plantes. Ils ont un énorme loyer à payer à la ville de Berlin et se sont donc tournés vers la restauration bio et beaucoup de leur production est achetée par des restaurants réputés de Berlin.
Quel est l'idéal vers lequel La pousse qui pousse tend?
Je trouve que c'est déjà un bel exemple ! Il faudrait pouvoir avoir un mix entre des formations et de la production pour pouvoir assurer un revenu. L'utopie serait d'être complètement autonome, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Mais je pense toujours que des initiatives comme celle-ci doivent être soutenues. On a quand même une certaine forme d'indépendance avec la production et c'est que j'aime dans ce projet. Dans l'idéal ce serait de développer encore plus d'interactions avec les associations environnantes, les écoles, etc.
On a remarqué que beaucoup de personnes n'ont pas envie que La pousse qui pousse disparaisse. Toute la difficulté pour nous est de trouver la juste mesure entre le soutien financier, l'autonomie du projet et le bien-être du travailleur. Si les travailleurs ont une qualité de travail digne alors ils offriront aussi un service de qualité aux personnes qui nous rendent visite.
Pour ouvrir le champs des possibles, dernièrement on avait un potager sur le toit de la Bibliothèque royale, le mont des herbes, et on a dû déménager. On a trouvé un terrain pas loin de la Pousse qui pousse, du côté d'Anderlecht. C'est une énorme cour de 5000 m² et l'idée est d'aller dans le sens du projet de Berlin, le Prinzessinnengarten, et d'avoir de la production, de la formation et même de l'événementiel et de créer un mélange social et culturel à l'intérieur de ce lieu.
Mixer le côté social et culturel c'est déjà ce que fait le Début des haricots, non?
Il y a deux grande valeurs au Début des haricots : d'abord c'est la transition écologique par la sensibilisation à l'environnement mais aussi en amenant les gens à pouvoir produire eux-mêmes leurs légumes.
Nous voulons amener le citadin à prendre conscience de la valeur de la campagne.
On va de l'accompagnement des citoyens dans des jardins collectifs jusqu'à une couveuse d’entreprise pour des professionnels qui voudraient s'installer dans ou aux alentours de Bruxelles. On fait aussi des accompagnements de chômeurs de longue durée pour qu'ils fassent une reconversion dans leur travail.
L'autre grande valeur du Début des haricots c'est l'autogestion. C'est l'épanouissement de l'individu au sein d'un collectif. Ici on est tous logés à la même enseigne, qu’on travaille dans les champs ou à la communication, on prend tous les décisions ensemble, on est tous payés pareil. Ça crée une dynamique dans cette horizontalité où chacun a vraiment un pouvoir de décision, et chacun reprend son pouvoir de citoyen en main. On est aussi très militants, on soutient les actions de désobéissance civile comme le fait le E.Z.L.N. On soutient l'ensemble des syndicats et des agriculteurs qui défendent un autre type d'agriculture. Mais on n'est pas que ça ! On aime aussi la culture, faire la fête et on a envie qu'il y ait des ponts parce qu'on pense la culture est aussi politique et qu’elle ça doit pouvoir amener des sujets de société.
Y a-t-il un autre projet du Début des haricots dont tu aimerais parler?
Il y a la Ferme urbaine qui est pour moi un lieu magnifique situé à Neder-Over-Heembeek. On y accompagne des chômeurs de longue durée qui sont là pour six mois renouvelables pour se former. C'est un travail agroécologique. Les buttes permanentes sont faites avec des ânesses et depuis peu on va sur le petit marché de Neder-Over-Hembeek avec elles. C'est un lieu d'apaisement. On y arrive en longeant le canal et c'est comme si on était en pleine campagne. Il y a une maison en auto-construction en terre-paille pour que les travailleurs puissent prendre une pause et faire leurs réunions. C'est un endroit assez magique.
L'autre projet qui me tient à coeur est celui dont je parlais (dans la cour de 5000 m² à Anderlecht, ndlr) qu'on est vraiment encore en train de lancer. Pour l'instant il y a des idées qui émergent, on l'appellerait bien Le pays des merveilles ou Wonderlecht parce qu'on a vraiment envie d'y mélanger production, formation, vente, petite restauration, cirque, accueil de migrants, etc. On a envie que ça soit un lieu qui respire les alternatives et pas seulement celles qu'on soutient parce qu'on n'est pas juste que des gens qui sont dans l'agriculture mais on est bien plus que ça.
La pousse qui pousse est ouverte de début mars à fin octobre le mercredi de 11h à 19h et du jeudi au samedi de 11h à 18 . Square Gérard Van Caulaert, 1060 Saint-Gilles. 11h à 19h et du jeudi au samedi de 11h à 18h!
Photos : Agustina Peluffo