La Marmeet : créer du lien social en cuisine

Dans la rubrique 24h, nous invitons des personnes contribuant à rendre le système alimentaire plus juste, accessible et écologique, à partager leur quotidien à l'aide d'un appareil photo jetable.


A Schaerbeek, un projet de cuisine et de restauration participatives et solidaires a vu le jour dernièrement : la Marmeet. Tangui, Émilie, quelques habitué.es et quelques curieux.ses se réunissent chaque mardi autour de la préparation et de la dégustation d’un repas. Mixité sociale, partage et bon petits plats sont au menu de ce projet inspiré par l’ASBL Kom à la maison. J’y ai rencontré Tangui, qui m’a parlé de la genèse, des actions et des ambitions de la Marmeet.

Présentation

Je fais parti du groupe de fondation de l’ASBL la Marmeet. J’ai découvert Kom à la maison en 2022, je me suis dit que le concept était génial et j’en ai immédiatement ressenti le bénéfice social. J’ai pensé qu’il faudrait plus de ces projets dans certains quartiers qui n’ont pas forcément une vie associative très développée. Puis Kom à la maison a organisé des réunions d’information relatant la naissance de leur projet, auxquelles il y avait beaucoup de monde. On a alors créé un groupe, organisé des réunions pour savoir ce que chacun envisageait, pour trouver les valeurs porteuses du projet… puis la Marmeet est née ! Notre objectif est d’amener des gens ensemble autour de la table, que ce soit en cuisinant ou en mangeant. En fonction des jours, on peut soit accueillir des habitués qui nous aident sur des tâches de base ; soit des gens qui viennent boire un café, nous regardent préparer à manger puis saisissent un couteau et viennent nous aider en cuisine.

Quelle a été la genèse et la mise en route de la Marmeet ?

Après avoir créé le groupe fondateur de l’ASBL, on a été en contact avec Marine lors de l’été 2023, qui gère le pôle de quartier du CRU pour Rénovas, et qui montait le lieux d’occupation temporaire. Elle avait comme ambition d’avoir une activité culinaire afin d’accueillir des gens, ainsi qu’un budget pour une cuisine mobile. On s’est alors proposé pour baser la Marmeet dans ce local, et on a pu le faire ! Depuis le mois de Septembre, on a fait plusieurs évènements d’inauguration, et depuis le mois d’Octobre on ouvre une fois par semaine pour accueillir du public. On a jusqu’à l’été 2024 pour rester dans ce lieu. Ce laps de temps nous permet de tester ce qu’on fait, de nous prendre en main pour la cuisine et l’animation, de trouver notre public, de penser une stratégie à mettre en place pour faire venir des gens, de trouver du temps et des ressources pour la phase suivante… Notre objectif est de devenir un « vrai restaurant », ce qui suppose de sonder le marché pour voir ce qui se fait, de collecter des fonds et d'améliorer notre modèle économique pour renforcer notre crédibilité. Pour résumer, même si nous avons déjà accompli beaucoup, nous sommes toujours dans la mise en route de l’ASBL.

Qu’est-ce qu’une journée type a la Marmeet, et quelles activités proposez-vous ?

On ouvre à 9h30 avec la lumière allumée et la cuisine prête. On accueille les gens qui veulent cuisiner, on sort les légumes et ingrédients qu’on a, et on élabore un menu. On se reparti les tâches et on commence à cuisiner vers 10h, avec l’idée de servir à 12h30. On mange tranquillement pendant 1h30, puis on commence à desservir afin d’avoir tout rangé pour 15h environ. On débriefe alors pour savoir ce qui a plus ou moins bien marché, ce qu’on peut garder pour les prochaines fois, etc. Les mangeur.ses paient alors ce qu’ils veulent, car on fonctionne selon le principe du prix libre, puis chacun rentre chez soi. Pour l’approvisionnement des matières premières, on fait de la récupération auprès des maraîcher.ères du coin ou des commerçant.es du quartier. Comme on a peu de volume, on a l’avantage de pouvoir faire ça un peu à la volée, et on a beaucoup de chance de pouvoir presque choisir ce qu’on souhaite récupérer. On achète aussi quelques denrée, comme l’huile, les œufs, la farine…

Outre la cuisine participative hebdomadaire, on prend part à des évènements plus larges. Par exemple, on a été convié à préparer un banquet participatif pour un festival du quartier Brabant. Le principe n’est pas de prendre une position de traiteur et d’apporter les repas tout préparés, mais plutôt de ramener nos ingrédients, notre cuisine mobile, et de convier les participant.es à cuisiner et manger ensemble. Également, on propose des team building, mais on prévient en amont qu’on ne privatisera pas l’activité : celle-ci sera ouverte au public, car c’est notre volonté d’être accessibles au plus grand nombre et de favoriser les échanges. On explore aussi la possibilité d’accueillir des groupes du CPAS qui n’ont pas forcément les ressources pour réaliser ce genre d’activités.

Tu parles du prix libre : quels en sont les défis ?

D’un côté, le prix libre est génial car il permet aux gens de s’affranchir des contraintes financières pour venir manger un repas chaud. D’un autre côté, c’est un concept encore inhabituel qui demande une réflexion que n’a pas nécessairement le consommateur.

C'EST LE CONSOMMATEUR QUI VA DÉCIDER DE LA VALEUR QU'IL PORTE AU SERVICE QUI LUI A ÉTÉ FOURNI

On constate d’ailleurs que le fait de vouloir payer ou pas se fait indépendamment des ressources des personnes. Il y a aussi une difficulté pour faire comprendre que prix libre ne veut pas dire gratuité : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de prix imposé que le repas ne coûte rien. Il y a les charges, les personnes à rémunérer dans le futur… Aujourd’hui, nous sommes tous et toutes bénévoles, aussi on n’a pas encore estimé le coût moyen d’un repas chez nous.

Vous n’avez pas de public cible puisque vous être ouverts à accueillir tout le monde. Est-ce que cela se confirme dans la pratique ?

Dans l’idée, nous voulons effectivement être le plus divers possible et brasser les différentes catégories de population du coin afin de créer ces opportunités de rencontre. Cependant, ça ne veut pas dire grand-chose dans une optique de professionnalisation du projet : il faut que la manière dont on fonctionne et ce qu’on propose soient bien accueillis par les gens qui les reçoivent, et pour cela il faut qu’on ait une vue sur les catégories de personnes à qui on s’adresse. Ce qu’on peut remarquer chez nous, c’est qu’on a une sorte de continuum entre « client.es » et « bénéficiaires ». On a des gens qui bénéficient purement de nos services grâce au prix libre. Mais ça ne veut pas dire qu’on se limite à accepter des personnes qui sont dans cette situation, on accueille aussi volontiers quiconque a envie de participer au projet et a les moyens financiers d’y contribuer. Dans tous les cas, le point commun de toutes ces personnes est l’idée de venir passer un bon moment en cuisinant et/ou en mangeant. On a vraiment comme ambition de créer une communauté très diverse, avec un tas de religions, d’origines, de circonstances de vie. Aujourd’hui, on remarque qu’on a majoritairement autour de la table un mélange de gens issus du milieu associatif local et de gens du quartier.

De plus, on est un projet à dimension sociale, ce qui implique qu’on va proposer un service à des personnes qui n’y auraient pas forcément accès le reste du temps. L’idée est de casser les barrières de prix en jouant sur la solidarité financière. Et ce qu’on trouve vraiment intéressant, c’est de faire cela en mettant tout le monde sur un pied d’égalité autour de la table. On veut que, l’espace d’une demi-journée, on partage le même lieu, on fasse les mêmes tâches et qu'on soit dans le même bateau. On essaie de sortir d’une position paternaliste où on apporte une solution aux problèmes de certaines personnes, ce qui établit comme un rapport de force entre elles et nous. Nous ne souhaitons pas nous imposer à notre environnement, mais plutôt composer avec celui-ci. On essaie de garder une certaine humilité sur notre projet, et on vit un balancement permanent entre proposer notre solution et ne rien proposer de nouveau.

Quel futur envisagez-vous pour l’ASBL ?

Premièrement, on aimerait s’ancrer dans un lieu permanent et se professionnaliser en tant que restaurant. Au niveau de l’équipe, il y a aussi l’idée de salarier l’activité car l’animation est une tâche demandeuse en énergie et en compétences. On vise également l’agrandissement du collectif afin d’avoir du monde pour réfléchir à tous les aspects du projet. On veut garder ça aussi ouvert que possible, donc plus on fait fonctionner l’intelligence collective et plus la Marmeet prendra la forme qu’on veut lui donner. On va continuer à réaliser des séances d’information sur le projet, continuer à travailler avec Kom à la maison, créer un réseau autour de notre projet et s’intégrer dans ceux déjà existants à l’échelle du quartier. Enfin, on a l’ambition de devenir un « vrai » restaurant, ce qui implique de demander des autorisations et de se professionnaliser d’autant plus.

Qu’est-ce que la Marmeet t’apporte et t’apprend ?

Au niveau personnel, le fait de cuisiner ensemble a été une révélation : cuisiner pour moi-même ne m’a jamais trop motivé et j’ai du mal à sortir de la notion de performance. Ici, il y a à la fois une perte de responsabilité et un côté très concret, car on apporte un repas afin d’aider à nourrir quelqu’un. Ça fait du bien, surtout que je n’avais jamais rien produit de mes mains au cours de ma vie antérieure. Ici, ce qu’on produit est bien reçu, est accepté immédiatement, et est apprécié. Pour résumer, la Marmeet m’apporte du bien-être et m’apprend à me défaire de cette course à la performance. J’ai aussi appris à mieux me connaître, à sortir de mes automatismes, à procéder de façon plus naturelle et donc plus agréable. J’ai appris à faire les choses parce que j’avais envie de les faire, et non plus parce que j’y étais forcé.

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