Il y a un an et demi les fondateurs de La Ferme de Froidefontaine ont créé un endroit pour accompagner le développement des projets dans l’alimentation durable, l’artisanat et l’accueil. Au sein d’une ancienne ferme à proximité de Namur, ils accueillent une variété de métiers à qui ils proposent une série d’outils entrepreneuriaux de développement du projet.
L’idée est de mutualiser certains services pour faciliter l'accès à la terre à ses partenaires et garantir la survie à long terme de leur activité. La ferme de Froidefontaine vient soulever un défi assez inspirant : créer des synergies dans le milieu de l’alimentation durable tout en assurant le développement entrepreneurial de ces projets. Florian Delespesse, un de ce fondateurs, nous explique plus dans cet entretien.
Comment est née l'idée de votre projet ?
Grâce à nos boulots et à nos connaissances, on avait des contacts avec des personnes qui avaient des projets agricoles, des jeunes qui voulaient se lancer et aussi avec des propriétaires terriens. Alors, quand Alexis, un des cofondateurs, a eu l’opportunité de reprendre la ferme, on a eu l'idée de réunir ces deux mondes qui souvent s'opposent et sont en conflit. On connaissait plusieurs personnes qui avaient des terrains agricoles et qui désiraient de les mettre à disposition sur de longues périodes pour des projets agro-écologiques ou en agriculture biologique. Dans le cadre actuel belge, il n'y a pas vraiment de solutions qui sont proposées à ce niveau-là, donc on s'est dit qu’il fallait tenter quelque chose.
Quand on a commencé à monter notre projet et donc à trouver des manières de donner accès à la terre, on s'est rendu compte, en discutant avec beaucoup de gens, qu'il y avait énormément de choses qui devaient et pouvaient être mises en place pour s'assurer que les projets puissent vivre sur la durée. On avait des porteurs de projet qui connaissaient très bien leur métier, qui avaient un savoir-faire et des compétences mais ce n'est pas toujours pour ça que leur projet va fonctionner. Il existe une réalité entrepreneuriale qui est assez rude. Il faut pouvoir s'en sortir au niveau économique, gérer la comptabilité, il faut vendre ses produits, faire du marketing, etc. pour faire vivre un projet sur le long terme.
Une de vos missions est de générer des synergies entre les projets que vous allez accueillir. Comment développez-vous cet aspect ?
En fait c'est très chouette ! Par exemple, l’équipe de la cidrerie du Condroz, qui est déjà installée à la ferme, a commencé à planter des vergers de hautes-tiges avec d’anciennes variétés de pommiers il y a cinq ans avec l'idée d’avoir du pâturage autours. Et donc pour le moment il y a des moutons. Les pommes servent à la cidrerie et les moutons en dessous, pour la viande. La laine des moutons part à la filature du hibou à Namur pour être traitée. Bientôt on aura sur la ferme un projet de production textile qui compte travailler notamment avec de la laine. Un autre projet qui s’intégrera est Lutea qui produit des colorants pour la peinture mais aussi des teintures.
On aura plusieurs activités qui s'imbriqueront les unes aux autres. On essaie d'avoir de la synergie entre les projets au maximum mais on cherche aussi une diversité, on voudrait travailler avec des acteurs différents qui se regroupent et qui travaillent dans un même espace.
Donc, il y a la cidrerie du Condroz qui développe déjà son activité sur place. Avez-vous d’autres projets en discussion ?
En fait, on a fait une période de sélection car on avait besoin de travailler avec des gens qui avaient déjà de l’expérience. Dans le pilier agriculture de notre projet, il fallait que ce soit des porteurs de projet avec au moins 3 années d’expérience parce que ce sont des métiers qui ont besoin de plusieurs saisons avant de se faire une idée précise du travail à fournir.
Qu’est-ce que la haute-tige ?
Un arbre fruitier est dit de « haute tige » ou de « plein-vent » dès lors que son tronc mesure plus de 1,60m de hauteur. Ce type de culture se raréfie au profit des monocultures de vergers basses tiges. Contrairement aux vergers basses tiges, les cultures en hautes tiges n’utilisent aucun pesticide et se veulent donc 100% naturelles.
On a lu leur dossier, on les a rencontrés et puis maintenant on est dans une phase où on a laissé volontairement toute une partie du projet ouverte, indéfinie. La gouvernance, la charte, l'identité commerciale et des questions économiques aussi par exemple. On n’a volontairement pas défini ça parce qu'on a envie que les premières personnes qui s'installent puissent aussi contribuer au projet pour avoir une vision plus large et plus juste et ainsi amener le projet vers une étape plus avancée. On est dans cette phase de création où on travaille tous ensemble.
Ça a l'air d'être une structure assez complexe.
C'est vrai, la structure est complexe. Mais c'est parce que les problématiques auxquelles on s'attaque sont, elles aussi, très complexes. Le modèle a pour spécificité de vouloir apporter des solutions innovantes en termes d'accès à la terre, de mutualisation de services et d'accès aux financements. Sur ce dernier point, justement, nous sommes en train de mettre en place un outil qui va bientôt permettre à tout un chacun d'investir dans les activités des porteurs de projets qui nous rejoignent. En tant que citoyen, je choisis comment et où investir avec une perspective de retour sur investissement. Du point de vue du porteur de projet cette solution de financement sera une alternative intéressante aux emprunts bancaires. Quand on emprunte aux banques on doit payer des mensualités, ça ne fonctionne pas toujours avec la réalité de l'agriculture parce que l'activité agricole peut mettre plusieurs années avant de se développer.
Nous, on est dans une dynamique plus entrepreneuriale où les gens participent au risque, c'est un peu comme quand on participe à une coopérative
Une fois que cette structure économique et financière aura été créée, les porteurs de projet pourront s'installer ici sur place ?
Oui, voilà. Ce n'est pas un habitat groupé, c'est au niveau professionnel qu'ils seront installés ici, c’est la spécificité du lieu.
On a visité beaucoup d'endroits en préparant ce projet, et on s'est rendu compte que la question des conflits humains est un aspect important parce que les conflits arrivent inévitablement. Nous, on a voulu diminuer la promiscuité. On a vu plein d'endroits avec des idéaux très beaux, des valeurs extraordinaires mais le fait de vivre et de travailler toujours avec les mêmes personnes n'est pas facile à gérer. Donc on propose seulement un cadre professionnel.
Est-ce que vous comptez développer un volet formation?
Oui, c’est aussi un aspect du projet très important pour nous. Les personnes qui travaillent et qui connaissent leur métier sont les personnes les plus disposées à partager leur savoir-faire. On fait déjà des formations avec la cidrerie et c'est vraiment extraordinaire la manière dont ils connaissent le cidre, les espèces de pommes, etc. Ils ont vraiment envie de partager leurs connaissances à des professionnels ou amateurs. C'est important pour les agriculteurs d'avoir une autre source de rentrée d’argent. Et c'est ce qu'on fait avec la cidrerie, ça permet de mettre un peu du beurre dans les épinards dans les périodes un peu plus compliquées et d'être valorisé. Nous, on est là pour faciliter la formation, on fait de la communication, on enregistre les inscriptions, on gère les paiements, etc. mais c'est la personne qui a le savoir-faire qui décide comment elle va le mieux la partager.
Dans certaines formations agricoles dans le mouvement alternatif aujourd’hui, on montre le beau côté des choses. Je pense que c'est important d'inspirer mais c'est aussi important de parler de la réalité. Par exemple dans le maraîchage, il y a beaucoup de projets à petite échelle et on voit que ce n’est pas si facile que ça de s'en sortir, ça demande beaucoup de travail et c'est très fatiguant. Donc faire des formations avec des personnes qui sont dans le métier depuis plusieurs années peut donner un idée plus juste du métier. Il faut aussi savoir ce que ça représente de travailler sur un champ dans les moments intenses de l'année.
Ces formations sont-elles ouvertes à tous?
Oui, bien sûr. On en propose deux pour le moment: « Le verger haute-tige » et un « séminaire sur la gestion de l'eau ».
La première est répartie sur cinq journées pendant toute l'année pour voir les différentes étapes du cycle de la pomme : la taille, la greffe, la récolte. Elle traite de ce qu'on appelle la « pomologie », qui s'agit de reconnaître bien les pommes et leur texture, à quelle point elles sont mûres, qu'est-ce qu'elles auront comme taux de sucre, est-ce qu'elles ont des maladies. Il faut vraiment comprendre la pomme au tant qu'entité et puis il y a le travail du cidre, la presse, l'embouteillage et le travail dans les barriques.
Et pour le 26 octobre, on a fait venir deux autrichiens qui sont extraordinaires, dont Josef Holzer, pour le « Séminaire sur la gestion de l'eau ».
Ici dans notre ferme on a trois sources, une temporaire et deux continues. Le design d'une ferme pour la gestion de l'eau est très important. Ce séminaire de quatre jours va être super intense et ça va nous permettre de travailler sur le design de la ferme. Ça nous servira de base mais ça sera surtout intéressant pour les personnes qui ont envie d'apprendre à gérer l'eau, qui est quelque chose qu'on simplifie assez souvent dans le travail agricole mais qui est en fait la base du design. Avec le sol, l'eau est une des choses la plus importante.
En 2018, nous organiserons toutes sortes de formations, pour les professionnels très techniques et assez avancées et puis des formations plus ouvertes qui permettront d'accueillir autant des professionnels que des personnes qui ont envie de faire quelque chose chez eux. Ça dépendra à chaque fois du porteur du projet et de son savoir-faire. Si je reprends l'exemple de Lutea qui fait des pigments végétaux, elle aimerait que dans certaines parties de la formation participent aussi des profs des beaux-arts pour lier le travail des pigments à la pratique artistique.
Cela demande énormément de versatilité et d'être toujours à l'écoute des porteurs de projet.
Oui, mais l'idée de la ferme est vraiment très simple sauf qu'on a rencontré des gens tellement motivés et extraordinaires qui ont plein de choses à partager et à faire vivre.
Nous avons envie de créer un endroit avec énormément de choses qui se passent, où il y a un partage, où il y a à manger, à gouter, à voir et à apprendre, à toucher et à sentir
Notre rôle est de faciliter, d’aider à mettre l'étincelle mais après les personnes sont autonomes, c'est elles qui travaillent comme elles le trouvent juste. On n’ira jamais dire à un agriculteur comment planter ses carottes. On n’est pas dans une vocation d’imposer des choses, on propose un cadre sur lequel on a été très transparent depuis le début, qui est celui de l’agroécologie. Cela pose certaines contraintes : il faut respecter le label bio, il faut que l'eau qui sorte de la ferme soit plus propre que quand elle y est entrée, on veut garder des zones écologiques c’est-à-dire des zones qui sont uniquement à vocation de préserver la biodiversité, on veut des pratiques qui maximisent la biodiversité et qui garantissent qualité du sol. Mais pour le reste ça dépendra vraiment de chaque personne.
Qu'est ce qui vous inspire? Quels sont les projets qui vous inspirent?
On connaît beaucoup de fermes et de projets extraordinaires qui ont été très inspirants pour nous et qui nous ont permis de nous rendre compte que notre projet était possible. J'ai tendance à vouloir être surpris et à ne pas vouloir savoir ce que va devenir la ferme. Ce qui a été très chouette dans l'appel à projet ce sont tous les projets qui nous ont été proposés et qu'on n’aurait jamais imaginé. On a reçu une moitié de projets agricoles et une moitié de projets non-agricoles, d’alimentation, d’artisanat et d’accueil, dans la réinsertion sociale, dans le travail avec les écoles, etc. Mais outre la vie et l’énergie, ce foisonnement qui nous habite et qu'on a envie de voir sur la ferme,
Nous voulons que les personnes qui viennent ici et leur énergie façonnent le visage de la ferme
Photos : Agustina Peluffo