Domingo Club: “Faire équipe avec les micro-organismes et les laisser faire leur travail”

Quand on vous dit incubateur à tempeh, ça vous parle? Si oui, vous faites déjà partie du club et la nourriture fermentée n’a plus de secrets pour vous ! Et si vous avez répondu par la négative, le Domingo Club va vous ouvrir les portes de monde fascinant qu’est celui de la fermentation et des micro-organismes. Composé de MAUD BAUSIER et d’ANTOINE JAUNARD, le Domingo Club œuvre à la promotion des processus de fermentation des protéines d’origine végétale et construit des outils pour que tout le monde puisse le faire de chez soi (et puisse se régaler de délicieux tempeh). Entretien.


Comment est né le Domingo Club?
Nous sommes tous les deux designers et makers mais avec des parcours différents. Maud vient de l’architecture d’intérieure et Antoine du graphisme. Nous avons chacun travaillé dans nos spécialités quelques années puis nous avons eu envie de changement et nous avons décidé d’ouvrir nos horizons en déménageant d’abord à Amsterdam pour un an et puis à Barcelone depuis deux ans. Depuis lors, nous nous sommes investis dans la communauté makers en promouvant nos valeurs liant l’écologie, la technologie et le « do-it-yourself ».

À Amsterdam, nous avons changé notre alimentation vers un régime végane et nous avons découvert le tempeh, un super aliment fermenté qui peut changer le monde.

Nous l’avons d’abord adopté en tant que consommateur mais très vite nous nous sommes pris au jeu de le produire nous-même. Une pratique que nous avons emmenée avec nous à Barcelone. Et tout en améliorant notre pratique et nos outils (et en mangeant beaucoup de tempeh), nous avons commencé à partager notre tempeh avec d’autres personnes.

De là, les idées ont évoluées et a surgi le Domingo Club, qui veut dire « Club du Dimanche » en espagnol. Notre désir initial était d’avoir du tempeh prêt tous les dimanche pour en partager les vertus et la pratique avec les membres de notre club. Depuis le projet a évolué mais nous avons gardé le nom et l’idée de promouvoir le tempeh et l’alimentation durable et de fabriquer les outils pour le faire soi-même.

Qu’est-ce que le tempeh et pourquoi avoir choisi cet aliment comme point de départ du Domingo Club?
L’agriculture animale est aujourd’hui l’une des principales causes de la perte de notre environnement naturel et du changement climatique. Selon nous, une partie importante de la solution consiste à passer à un régime alimentaire à base de plantes.

Nous pensons aussi que les grands changements viennent des habitudes quotidiennes et que notre alimentation est la base de notre quotidien.

Nous avons choisi de promouvoir le tempeh comme solution pour une alimentation durable car il s’agit d’un produit nutritif qui nécessite peu de ressource et qui est peu coûteux. 

Le tempeh est d’origine indonésienne et est le produit de la fermentation de graines de soja avec un champignon appelé Rhizopus. Pendant la fermentation, le champignon se nourrit des graines de soja et se développe dans l’espace qui les entoure, les liant ensemble. Ce processus décompose les molécules du soja et cette prédigestion nous permet d’absorber beaucoup plus de nutriments des graines de soja. Cela rend le tempeh aussi riche en protéines et en fer que la viande mais également plus riche en fibres et en calcium, tout en étant plus pauvre en graisses saturées et en sel. Le goût du tempeh évoque des arômes de champignon, de noix et de levure, et sa texture est ferme et consistante. Croyez-nous, c’est extrêmement délicieux !

Les indonésiens consomment du tempeh comme alternative à la viande depuis des centaines d’années déjà.

Aujourd’hui le tempeh commence à se répandre partout dans le monde en utilisant des variantes locales comme alternative au soja. Car le tempeh peut se faire à partir de n’importe quelle légumineuse!

Pour activer le processus de fermentation, une température constante de 30°C et un taux d’humidité élevé sont nécessaires. Les paramètres idéaux sont rassemblés dans le climat indonésien, le berceau du tempeh. Dans d’autres pays, un fermenteur / incubateur est nécessaire. Il s’agit d’un dispositif qui maintient les conditions optimales pour la croissance du mycélium, la partie végétative des champignons, et la fermentation.

Nous avons commencé à fermenter notre tempeh dans notre buanderie à Amsterdam car le chauffe-eau s’y trouvait et il faisait toujours bien chaud. Cela fonctionnait parfaitement! Par contre à Barcelone, le climat est favorable à la fermentation en été, mais pas durant les autres saisons, et les appartements n’y sont pas toujours chauffés. Nous avons donc commencé à prototyper notre propre incubateur / fermenteur à partir de zéro, en utilisant les connaissances des pairs (peer-knowledge) et nos compétences de makers.

En quoi faire son propre tempeh et autres nourritures fermentées peut-il nous permettre d’être plus résilient.e.s?
Faire son tempeh ou fermenter sa propre nourriture en général procure un grand sentiment de satisfaction. Il s’agit de faire équipe avec les micro-organismes et les laisser faire leur travail. Cela nous permet de découvrir le pouvoir de la nature invisible, de se rapprocher des processus naturels, de les observer et de les comprendre pour plus de synergies. L’idée est de (ré)apprendre à faire sa nourriture soi-même en y prenant du plaisir. En plus, c’est tellement plus lent que tout ce qui nous entoure… il y a un réel besoin de ralentir au milieu d’une vie si rapide que nous avons acceptée.

La fermentation est un moyen d’améliorer nos aliments locaux et saisonniers et de passer d’une économie extractive à une économie régénérative. Il s’agit d’une pratique accessible à quiconque s’y intéresse. La fermentation est une pratique ancestrale mais la remettre au goût du jour nous permet de nous éloigner des processus de fabrication rapide et globaux et nous incite ainsi à être plus conscient de la nourriture que l’on consomme, de notre environnement naturel et de ses ressources.

L’idée est de passer de consommateurs passifs à consommateurs actifs et de redonner le pouvoir aux citoyens de produire leurs propres super aliments et de se détacher du standard des supermarchés imposé par l’industrie agro-alimentaire.

De plus, la nourriture fermentée améliore notre système immunitaire. Notre système digestif est composé de centaines de milliards de bactéries, notre flore bactérienne. Les produits fermentés maintiennent et favorisent la richesse de cette flore bactérienne et stimulent les cellules immunitaires naturelles de l’intestin.

C’est pourquoi nous voulons promouvoir les protéines végétales fermentées mais aussi développer et proposer un outil, le fermenteur à tempeh, pour enclencher la transition vers un nouveau système alimentaire axé sur la santé, l’environnement, les traditions, les communautés et le monde vivant.

Vous promouvez la philosophie open-source, en quoi est-ce important pour vous?
L’open-source est un mouvement qui s’appliquait initialement aux logiciels dit libres en donnant accès au code source pour la création de travaux dérivés et la libre redistribution. Ce mouvement s’applique désormais aussi aux dispositifs et objets grâce à la culture maker et DIY (do-it-yourself) et au réseau d’ateliers inter-connectés que sont les Fablabs et les makerspaces. Il s’agit de « laboratoires » de fabrication numérique qui partagent les mêmes machines telles que des imprimantes 3D, des découpeuses laser ou des fraiseuses numériques. Ce qui veut dire qu’un projet créé dans un fablab peut être fabriqué dans n’importe quel autre fablab du monde en donnant accès aux instructions et fichiers de fabrication.

Les fablabs visent également à autonomiser et responsabiliser les citoyens quant à l’utilisation de la technologie en promouvant l’aspect communautaire, la compréhension, l’appropriation, l’amélioration, la réparation, la résilience et l’équité.

Nous voyons les technologies open-source comme la cuisine. Nous voulons partager nos fichiers de fabrication comme nous partagerions nos bonnes recettes car nous sommes convaincus que ce que nous faisons à beaucoup plus de sens et d’impact lorsque nous ne sommes pas les seuls à le faire. Travailler au sein d’une communauté donne des résultats meilleurs et plus rapides et semble être une clé pour résoudre les problèmes d’urgence.

Grâce à l’open-source et au réseau de fablabs et makerspaces, le Domingo Fermenteur est fabricable partout dans le monde avec les matériaux disponibles sur place. Donc, en plus de fabriquer nous-même le Domingo Fermenteur localement à Barcelone, nous promouvons un nouveau modèle de production avec la fabrication décentralisée ou « les bits voyagent mondialement, tandis que les atomes restent localement ».

Comment voyez-vous évoluer le Domingo Club dans un futur proche ?
Nous sommes en train de finaliser le développement de notre fermenteur Domingo. Nous le voulons accessible en termes de taille et de coût pour pouvoir commencer à le distribuer rapidement. Nous visons également à générer plus d’intérêt quant aux bienfaits du tempeh en donnant des ateliers sur comment et pourquoi faire son tempeh mais aussi comment construire son propre fermenteur. Ensuite, nous aimerions créer une plateforme numérique où chacun peut partager son expérience quant à l’utilisation du fermenteur Domingo, à la fermentation du tempeh mais aussi d’autres ferments et faire grandir tous ensemble notre savoir commun. Et finalement, continuer à organiser et à participer à des évènements liés à des expériences gastronomiques pour réveiller l’intérêt du grand public.

Photos: Domingo Club