Marie-Claire Wylock, l’avenir en main

Printemps 2017

Dans la rubrique 24h, nous invitons des producteurs du réseau des GASAP bruxellois à partager avec nous leur quotidien à l’aide d’un appareil photo jetable.


 

Marie-Claire Wylock est productrice laitière à la ferme de Stée, dans la Région wallonne. La crise de 2009 l’a poussée à repenser son métier sous une nouvelle éthique ; celle du passage au bio et de la vente directe. Entretien.

Dans le paysage wallon de l’agriculture, l’histoire de la Ferme de Stée dénote. Venant du secteur laitier conventionnel, la transition portée par toute la famille Wylock-Vanwynsberghe est impressionnante ; ils sont passés d’un troupeau bovin et vendant leur lait à la laiterie, à une ferme en polyélevage avec de la transformation et une vente majoritairement en circuit court. La part de leurs ventes allant dans les circuits longs ou à l’étranger continue de diminuer ; trouver des débouchés alternatifs n’est cependant pas facile et le chemin est souvent long.

Si beaucoup d’initiatives durables voient le jour, la transition depuis l’agriculture conventionnelle reste nettement moins commune, sans doute beaucoup plus compliquée. Passer d’un modèle plus simple mais dépendant à une telle diversité et une autonomie poussée est un exemple concret de reprise en main de ses moyens de production et de distribution. Deux mots sautent à l’esprit quand on tente de décrire cette transition : diversité et autonomie. On serait tentés d’y ajouter liberté. Florian Delespesse, réseau des GASAP Bruxellois.

 

Sur cette photo, ce sont des vaches laitières?

Non, ce sont les veaux. Dans la plupart des élevages, les veaux partent directement à l’abattoir parce qu’ils ne valent rien. Nous on ne veut pas élever pour rien et détruire la vie avant qu’elle ne commence. On a donc trouvé une alternative, on garde les taureaux, on les castre, on fait des veaux qui font toute la carrière qu’ils doivent faire chez nous (environ 18 mois), et après, ils partent vers l’abattoir pour l’exportation. L’année passée, c’était la première expérience. Cette année-ci, on n’est pas certains de les castrer parce que le commerce demande un certain nombre de petits taureaux de ce gabarit-là. Ils partiront donc plutôt vers un an. Ils iront vers la Turquie.  Il y a une grande demande pour des bovins de petite carrure. Il y a beaucoup d’animaux qui sont partis par là.

L’élevage c’est déjà énormément de labeur pour une ferme et vous faites en plus de la découpe de viande, comment gérez-vous tout ce travail?

On essaie de s’adapter à chaque fois aux conditions de l’année au niveau de la vente. C’est vrai que tout faire par nous-mêmes, c’est difficile. On pourrait faire plein de choses quand on voit le nombre de produits qui sont en demande, mais on ne peut pas tout faire. Ce qui est curieux, c’est qu’il y a des gens qui viennent à la ferme et qui demandent « ça vient de chez toi ça ou pas? Alors si oui, on prend! ». C’est bien, c’est valorisant. Ça veut dire que ce que tu produis est de qualité et que les gens ont envie que ça soit de toi.

« Il y a eu une naissance de deux veaux, ce qui est assez exceptionnel. Leur mère venait de les lécher. »

Pour le moment, on est vraiment saturés de travail, toute la production part et je n’en ai pas assez! Je pense que la demande qu’on a est si particulière parce que c’est notre façon de travailler qui est recherchée, c’est un tout. Dans un magasin bio, par exemple, si les clients achètent un produit, ils ne savent peut-être pas d’où il vient. Celui qui vient vers nous a une autre attente de la philosophie qu’il y a derrière le produit, je pense que c’est important.

« Je livre Au Marché noir, dans les GASAP évidemment, et à La Ruche qui dit Oui! »
« C’est une niche pour les veaux adoptée par les cochons. »

Toi qui est fille de fermiers, quelle était ta vision de la vie à la ferme quand tu étais enfant?

Quand j’avais 17 ans, j’ai arrêté l’école sur un coup de tête, j’en avais marre et je suis restée travailler à la ferme. À l’époque, on pouvait encore arrêter l’école à 16 ans. Je n’étais pas du tout décidée pour l’agriculture, je n’aimais pas ça. Mais je ne me voyais pas spécialement travailler dans l’agriculture comme mes parents. Je me voyais plutôt infirmière. J’aurais pu m’adapter facilement à n’importe quel métier, mais pas à la ville!

Qu’est-ce que la campagne t’offre de si particulier?

Disons qu’elle m’offre un certain équilibre et me donne l’opportunité de faire plein de choses. J’avais l’impression qu’à la ville, je n’allais être cantonnée qu’à un rôle ou un métier. C’est un peu l’équilibre de l’humain que je retrouve ici. Parfois, je suis fatiguée ou j’en ai marre, c’est un peu comme dans tout boulot, mais la vie à la campagne me rééquilibre beaucoup plus que si je vivais en ville.

Baptiste, le fils cadet de Marie-Claire.

Tes fils travaillent eux aussi à la ferme. Prennent-t-ils autant de plaisir que toi dans leur travail?

Si on est passionné, on n’appelle pas ça du «travail», c’est la vie tout simplement. Tu peux dire que tout est travail, ou tu peux dire que ce que tu fais dans ta vie fait partie de tes choix.

Dans notre ferme, on a la chance de pouvoir varier ce qu’on fait, ce n’est pas un travail répétitif. C’est une grande chance. C’est notre vie, et notre vie, c’est le travail.

Mais on n’est pas non plus liés au travail continuellement. On n’a jamais rien imposé à nos fils, mais ils nous ont toujours accompagnés partout. C’est vrai que j’ai un peu zappé les autres activités extérieures à la ferme, surtout parce qu’à l’époque, la ferme fonctionnait de façon conventionnelle et on faisait la traite des vaches deux fois par jour. Alors les activités pour les enfants après l’école ou les samedis, franchement, ce sont les dernières choses auxquelles j’aurais pensé. Ces activités auraient été pour moi une contrainte, parce qu’avec mon horaire, je ne pouvais tout simplement pas.

Comment s’est déclenché ton passage vers le bio?

Le passage vers le bio s’est fait en 2009. Comme tout le monde le sait, 2009 a été une année de crise pour les produits laitiers. Les crises sanitaires se sont succédées depuis les années nonante: la vache folle, la fièvre aphteuse, la fièvre catarrhale, la dioxine, etc. Il y avait toujours quelque chose. Dans ce cadre-là, évidemment on dépendait beaucoup de l’extérieur et de l’agroalimentaire. Nous, on avait intensifié énormément la ferme, on avait beaucoup trop de bêtes qu’on ne pouvait pas nourrir avec le terrain qu’on avait. C’était presque de l’hors-sol. Et là, on s’est complètement effondrés, on s’est vraiment pris le mur.

Comme on avait envie de continuer la ferme, on s’est dit qu’il fallait faire autrement. Si ce qu’on faisait nous a menés à la perte, il fallait complètement revoir les choses. Alors c’est très simple, on s’est dit «on n’a plus un radis, on ne peut plus rien dépenser. On retrouve le bon sens et on ne dépense que quand on a un franc et puis voilà!». C’était assez dur, je dis ça en riant, mais à l’époque, ça n’a pas du tout été simple. La question du bio ne s’est pas posée à ce moment-là, ce qu’on a visé avant tout, c’est l’autonomie. Il fallait qu’on redevienne autonomes et qu’on oublie tous les achats qu’on devait faire à l’extérieur. La dépendance, c’était les achat d’engrais, de nourriture, les produits phytosanitaires, etc. Tout, en fait!

On s’est dit qu’il fallait prendre notre avenir en main et reprendre notre vrai métier de paysan. Pour cela, il fallait devenir autonomes. Il fallait qu’on produise tout nous-mêmes.

Après deux ans à ce régime-là, la question du bio s’est posée. Ce sont les groupes d’achat qui nous ont poussés à cette réflexion, quand on avait commencé à faire les ventes vers ces réseaux. C’était une question de garantie. À la base, on n’était pas pour une certification (bio, ndlr), et petit à petit, on s’est dit qu’on allait le faire parce qu’on aurait une prime à la clé, ça pouvait nous aider. La chance qu’on a eu dans ce cadre-là, c’était d’avoir déjà mis l’autonomie en place, donc ça coulait de source. Quand tu vends ton produit à des personnes que tu vois tous les jours et qui connaissent l’histoire de ton produit et la façon dont tu travailles, ça leur donne une garantie.
On est tellement convaincus de ce qu’on fait, dans cette autonomie et dans la valorisation de ce qu’on produit jusqu’au bout. Nous, c’est notre histoire, elle n’est pas comme les autres, mais c’est notre histoire. Le passage au bio est venu, entre autres, de la demande de nos clients bruxellois.

N’était-ce pas difficile de passer en circuit court au début?

Pour démarrer, on y est allés pas à pas. En 2009, j’ai commencé à suivre des cours et les ventes ont commencé en 2010. Et petit à petit, ça a pris de l’ampleur. Quand on a débuté le circuit court, on continuait à vendre à la laiterie parce qu’on avait un grand volume de lait qui était là et j’avais ma clientèle qui était faite. Tout ce que je vendais en circuit court, c’était un plus parce que la valeur ajoutée était beaucoup plus importante que le produit brut. On était vraiment contents de profiter de cette valorisation. Et de fil en aiguille, ça a basculé dans l’autre sens, on a arrêté avec la laiterie et on a tout valorisé. Dans cet intervalle de temps, on a tout remis en place en diminuant le nombre de têtes de bétail, on a mis les chèvres et brebis en place, on ne les avait pas en 2009. Tout ça grâce à la demande qu’il y avait de la part de mes groupes. Pour l’agriculture actuelle, ça reste du petit volume.

On a voulu faire en sorte que tout ce qu’on produisait soit valorisé, ou alors, on ne le produisait pas.

Pour la viande, c’est pareil, même si on ne peut pas tout transformer ici. L’agneau, les poules, les oeufs, tout ce qu’on essaie de produire c’est pour vendre directement aux consommateurs. Nous ne vendons pas à des revendeurs.

« Valoriser c’est transformer. Si c’est le lait on fait du fromage, du yaourt, etc. »

Est-ce que tu mets en place des associations ou des partenariats?

La seule coopérative dont on fait partie est Agricovert. Mais à part ça, nous ne sommes dans aucun autre partenariat. Je suis trop indépendante et on a retrouvé cette liberté assez importante avec la ferme qu’on ne pourrait plus quitter. C’est vrai que s’associer et être coopérateur c’est dans l’air du temps, mais ce n’est pas pour nous. On met déjà beaucoup d’énergie dans la diversification, à faire pleins de choses différentes, on ne ressent pas le besoin de s’associer. Si on ne faisait qu’une ou deux choses, c’est vrai, peut-être on n’aurait pas assez d’offres pour les clients, dans ce cas là, oui, il faudrait s’associer. On a recherché notre propre diversification. Si on veut garder cette idée de petit agriculteur, il ne faut pas s’associer à 36 parce qu’alors, on devient de grosses structures. Et à chaque fois qu’il y a de grosses structures, il y a une hiérarchie qui se met en place.

« Cette photo représente une certaine liberté et une certaine nature. Mais comme il y a la clôture, ce n’est pas vraiment la liberté ».

Avec toutes ces évolutions déjà réalisées: le passage au bio, le circuit court, la vente directe, etc., quel est l’idéal qui vous pousse à continuer, à vous améliorer?

C’est de continuer à faire ce qu’on fait parce qu’on a trouvé un bel équilibre à la ferme, entre production, transformation et vente, tout est bien équilibré. C’est ce qu’il faut. Nos problèmes de l’époque au niveau financier sont résolus, même si on a beaucoup moins de bêtes qu’à ce moment-là. Parce que la valorisation est là. Notre idéal est peut-être de tendre encore plus vers l’autonomie, moi j’ai besoin de ça.

J’ai l’impression que plus on retrouve l’autonomie plus on reprend de la liberté, et moi c’est mon truc ça!

Mais la liberté totale est impossible, l’autonomie totale est impossible aussi. Si t’es dans une liberté et une autonomie totales, c’est de l’autarcie, et finalement, tu te mets en marge de la société. Ce n’est pas notre idée du tout. Il faut travailler vers plus d’autonomie. Je crois qu’en tant qu’êtres humains, on a cette possibilité. On l’a eue, on l’a perdue… mais ce n’est pas difficile de la retrouver. Comme tout, si on désire vraiment les choses, elles arrivent! Il faut faire confiance à la vie, simplement.

Et j’imagine qu’il faut agir surtout, que l’idée seule ne suffit pas…

Maintenant on me demande beaucoup d’aller par-ci, par-là, d’aller voir un film, d’assister à un débat… ça me lasse! J’y vais pour ne pas mourir idiote! Ce sont toujours les mêmes intervenants, qui sont géniaux, je ne dis pas le contraire, mais il y a tellement de choses qui ont été dites et redites dans ce cadre-là. Pourtant, il n’y a rien qui bouge. C’est très intellectuel, mais il n’y a pas une seule action, on n’agit pas vraiment. C’est une inertie de masse. J’ai envie de dire, demain c’est déjà trop tard, c’est maintenant! Quand on commence les choses par soi-même, on pourrait se dire que ce n’est qu’un grain de sable, mais ce n’est pas grave! Le grain de sable est important. On peut déjà faire bouger les choses à sa propre échelle. Là, on est actif! C’est en agissant au niveau de nos achats qu’on peut dire «moi je participe pas à ça».


CET ARTICLE À ÉTÉ RÉALISÉ EN PARTENARIAT AVEC LE RÉSEAU DES GASAP BRUXELLOIS


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