Conversation: Qu’en est-il de la gestion des déchets bruxellois? (2ème partie)

Automne 2018

Rien qu’à Bruxelles, 500 000 tonnes de déchets sont récoltés et incinérés par an. La valorisation des déchets en tant que ressources est une possibilité qui n’est pas encore exploitée dans sa capacité optimale. Repenser nos modes de consommation reste une nécessité primordiale pour la réduction des déchets. Mais qu’en est-il de la notion de récupération des déchets pour leur donner une nouvelle vie? Dans la deuxième partie de cette conversation sur la gestion des déchets à Bruxelles on a discuté avec Adel Saebi fondateur de l’initiative citoyenne Leo Not Happy, Gwenaël Diélie de l’ASBL Eco-Techno-Project et Simon de Muynck chercheur pour l’Opération Phosphore sur la complexité des systèmes d’économie circulaire.


 

Agustina Dot-To-Dot: Simon tu participes à l’Opération Phosphore, qui est une recherche en co-création avec la participation des acteurs gouvernementaux, scientifiques et du milieu associatif autour du sujet de la valorisation des déchets organiques à Bruxelles. Peux-tu nous parler des découvertes que vous avez réalisées?

Simon: On s’est rendu compte qu’il existe beaucoup de techniques décentralisées qui sont utilisées à l’échelle locale pour la valorisation des déchets organiques. Onze catégories au total, entre autres la valorisation par les poules, le vermicompostage, l’éco-digestion, la micro-biométhanisation, etc. Non seulement ces techniques sont nombreuses et diversifiées mais elles sont expérimentées par beaucoup d’acteurs à Bruxelles : il y a un écosystème de pratiques très diversifié. L’objectif de l’Opération Phosphore est de mettre en avant ces acteurs qui mobilisent des techniques décentralisées. À terme, l’objectif est également de penser une stratégie, un scénario de transformation du système qui prendra en compte toutes ces niches d’innovation et pensera les conditions de leur montée en puissance, tout en réfléchissant à la complémentarité à garder avec le système de collecte et de traitement actuel industriel. Pour le moment on travaille à faire des projections, des hypothèses et l’idée est qu’une fois qu’on aura augmenté en puissance ces techniques décentralisées, on pourra impacter la politique qui est totalement top-down et industrielle.

Pour le moment on compte près de 160 composts de quartiers traitant environ 400 tonnes de déchets organiques. Que se passerait-il si on en avait mille?

La stratégie actuelle est de faire plus de recyclage et d’énergie renouvelable, donc plus d’incinération et plus de biométhanisation. Les partenaires de l’Opération Phosphore et les expérimentateurs co-chercheurs se demandent comment le top-down et le bottom-up peuvent être combinés pour faire une stratégie hybride, plus équilibrée, écologique et qui fasse plus de sens pour tout le monde.

Gwenaël: Il y a une problématique un peu ambiguë à Bruxelles… Le système actuel de gestion intensif des déchets est mi-public mi-privé et se base sur l’incinération. On nous vend l’énergie créée par l’incinérateur comme de l’énergie dite renouvelable. Soyons pragmatiques: actuellement, s’il n’y avait pas d’incinération il y aurait une quantité de déchets qui serait très difficile à gérer. Donc, c’est très tentant de tout brûler et d’en produire de l’énergie. La transformation d’un tel système en un système de réintégration dans l’économie signifierait la déviation des flux vis à vis du choix actuel. Mais, est-ce qu’on peut considérer l’incinération comme une énergie renouvelable? Non, parce qu’elle utilise des déchets et le meilleur moyen de réduire notre impact environnemental c’est de produire de moins en moins de déchets.

Donc une vraie politique de réduction des déchets devrait commencer par réduire les emballages.

De facto, avec une telle politique l’incinérateur serait voué à devenir obsolescent. Donc aujourd’hui, on doit réfléchir à la transition! Sinon à un moment il y aura de la concurrence entre la prévention, le recyclage dans l’économie circulaire et le système actuel d’incinération des déchets. Le futur de notre région en dépend. À terme, il va falloir trouver des espaces de négociation. Une région, petite comme la nôtre, ne peut pas avancer en ces matières avec des antagonismes, il faut avancer pas à pas avec les acteurs politiques, les administrations et les sociétés publiques et privés.

Simon: L’incinérateur accueille environ 500 000 tonnes par an de déchets donc il y a encore de la marge avant sa fermeture. Toutefois, ce que Gwenaël explique relève de la macro politique qui, à long terme, devra être considérée au plan politique.

Agustina: On voit que c’est un sujet complexe parce qu’on n’arrive même pas à changer les sacs en plastique par un système basé sur du vrac. Evitons d’emballer nos déchets plus que nécessaire ! Et en tant que citoyens on se demande comment ça se fait.

Gwenaël: Le sac en plastique n’est pas une vraie solution. Si les gens arrivaient à centraliser leurs déchets au niveau du quartier là il y aurait moyen de bien trier la poubelle en créant une conciergerie de quartier. Cela réduira la collecte au porte à porte et la pénibilité de la tâche pour les éboueurs. Avec peut-être, une logistique du déchet plus durable et des fonctions plus ergonomiques pour l’humain.

Simon: C’est le principe du parc à conteneur, à priori le but est de créer de mini unités centralisées de tri, à une échelle intermédiaire

Adel: C’est très intéressant mais ce que j’ai pu constater c’est que les gens considèrent la rue comme une décharge. Et les communes sont rentrées dans un cercle vicieux, elles sont obligées de ramasser tout le temps les déchets sinon il y a des dépôts clandestins qui s’accumulent et après les riverains se plaignent. Finalement, celui qui a commis l’incivilité n’assume que trop rarement la responsabilité de ce qu’il a fait. Pire, au final, le ramassage par la commune l’encourage à continuer. 

Un de mes projets est d’amener les gens qui commettent des incivilités à des ramassages de déchets avec des citoyens engagés au lieu de leur donner une amende. Cela rompt ainsi avec ce cercle vicieux dont on parle.

Gwenaël: Quand les outils d’intégration, d’éducation et de mise en responsabilité ne sont pas mis en place ça ne sert à rien d’avoir des lois. On ne peut pas mettre un policier derrière tout le monde, il faut une conscience civique.

Simon: Il y a de ça c’est vrai, mais je crois plus en les notions d’aliénation et/ou d’hétéronomie dont parle bien Ivan Illich. On a délégué aux techniciens toute une série de choses de la vie courante parce qu’on est dans un système travailliste et on n’a plus le temps de s’intéresser aux choses. Les systèmes se sont tellement complexifiés qu’on ne comprend plus comment les choses fonctionnent. Les gens ne savent pas où vont leurs poubelles.

Comment voulez-vous changer les comportements si personne n’en comprend structurellement les raisons ?

Agustina: Dans la nature, la notion de déchet n’existe pas parce que tout se transforme pour nourrir autre chose. Est-ce que l’économie circulaire peut faire que la ville devienne zéro déchet?

Simon: C’est un sujet super complexe. Quand on parle d’économie circulaire on parle d’amener un nutriment (azote, phosphore, eau) d’un point A qui est passé par un trajet pour revenir de là où il vient, c’est ça la circularité. Que ça soit à l’échelle d’une forêt ou d’un grand cycle biologique la nature a un rythme circulaire. Le problème avec les systèmes anthropiques c’est que la banane que je vais manger est venue de très loin en passant par différents canaux et va finir dans mon sac blanc pour être incinérée. Si l’on applique la logique circulaire à la lettre, il faudra renvoyer la peau de banane pour amender la terre qui l’a fait pousser. La circularité n’est donc pas la panacée dans un système mondialisé.

Agustina: Peut-être qu’aujourd’hui l’écologie se situe davantage dans le changement de flux de consommation que dans le recyclage.

Simon: Oui, en écologie les notions de « moins » et de « décentralisé » me semblent être des repères intéressants.

Gwenaël: Aujourd’hui si on veut vivre dans une économie circulaire cohérente, il faut effectivement rester dans des systèmes locaux à des échelles très courtes. En opposition avec l’évolution de l’économie mondiale. Il y a toute une économie à changer, nous devons réapprendre à être en adéquation avec nos besoins mais aussi à les redéfinir.

C’est finalement le consommateur qui a le pouvoir parce que c’est lui qui fait la loi sur le marché.

L’éducation et la communication sont les outils majeurs pour rappeler la différence entre un légume produit et distribué inadéquatement et un autre durable ou bio, par exemple.

Adel: Bio n’est pas toujours écologique. En fait on en revient toujours à la même chose, le comportement des citoyens, et s’ils sont ou pas sensibilisés à l’écologie. Personnellement je n’en veux pas aux multinationales, elles proposent leurs produits et font leur communication là-dessus. Le problème est le public qui décide d’acheter ces produits. Je pense qu’en général les gens ne se focalisent pas assez sur ce qu’ils consomment. Pour une grande majorité des gens, acheter un concombre qui vient d’Espagne n’a pas beaucoup d’importance et acheter un légume belge est un effort à fournir. Il faut communiquer autour de pourquoi c’est mieux de consommer local, de pourquoi c’est mieux pour l’environnement. Changer les comportements et les modes de consommation est le challenge de cette partie du XXI siècle.

Simon: C’est marrant, je ne pensais pas qu’on irait sur ce terrain-là mais en fait le déchet n’est que la conséquence logique de notre mode de vie. On parle de modèle économique, de capacitation citoyenne, d’industrie. Le déchet peut mobiliser des réflexions extrêmement complexes. Pour donner une grille de lecture ou une piste, je suis persuadé que le futur est à trouver dans le passé. On vit une parenthèse liée à l’énergie et à la pétrochimie. Dans les années 50 ou 60, le mode de vie était différent, la société n’avait pas du tout ce type de réflexion et les gens vivaient très bien.

Je trouve qu’on manque de narratifs positifs concernant des modes de vie où la consommation n’est pas la priorité.

Un projet de recherche que j’aimerais mener est de travailler sur la mémoire sociale, le quotidien de nos anciens. Après tout, on parlait des associations de récupération et transformation alimentaires mais nos aînés le faisaient déjà. L’écologie politique est à trouver dans la simplicité, les savoir-faire, la capacitation, la solidarité.


 

Gwenaël Diélie Ingénieur en chimie analytique et en génie environnemental. Co-fondateur de l’ASBL Eco-Techno-Project qui développe, aide et conseille sur l’écologie des systèmes urbains. Il s’intéresse, entre autre, aux flux de déchets répartis dans l’espace publique. Il trouve que Bruxelles est très riche en la matière mais pas très propre!

Simon de Muynck Chercheur. Collaborateur scientifique à l’ULB à l’Institut de gestion de l’environnement et de l’aménagement du territoire, (IGEAT-Geste). Il travaille au Centre d’écologie urbaine en tant que coordinateur de recherche-action, notamment sur le projet participatif Phosphore qui vise à transformer le système de collecte et traitement des matières organiques bruxelloises.

Adel Saebi Étudiant en master en communication digitale. Il lance en 2016 l’initiative citoyenne Leo not happy (sur les réseaux sociaux). L’objectif de cette initiative est de sensibiliser le public à la cause environnementale avec comme porte d’entrée les déchets de rue. L’objectif à long terme est de trouver des solutions positives avec les pouvoirs publics, fédérer les communes, la région et engager les citoyens à mettre en place des solutions concrètes.


 

Illustrations: Tim Colmant