Bricoler c’est chouette mais c’est encore mieux quand on a tous les outils nécessaires à notre disposition ! Mais on n’a pas toujours l’envie ni les moyens de s’acheter ce matériel. Tournevie est une outilthèque qui permet à ses membres d’emprunter tous les outils dont ils ont besoin afin de mener à bien leurs projets de bricolage. Nous avons rencontré Olivier Beys, fondateur de Tournevie, avec qui nous avons discuté cohésion sociale, économie à taille humaine et échange de savoirs-faire. Entretien.
Est-ce que tu peux nous expliquer le concept de Tournevie?
C’est une outilthèque qui fonctionne comme une bibliothèque de livres. L’inscription est de 40€ par an ou 20€ par mois et une fois inscrit, on peut louer tous les outils disponibles autant de fois qu’on le veut. L’idée est de remplacer tous les outils bons marchés que les gens s’achèteraient quand ils auraient besoin de bricoler quelque chose à la maison. Ces outils bons marchés sont en fait du brol, on ne les utilise à peine qu’une ou deux fois par an et en plus de ça ils se cassent vite. L’ambition de Tournevie est de réduire ce gaspillage et de maximiser l’utilisation de ces ressources. Notre autre ambition est de partager nos connaissances, c’est-à-dire qu’on propose des formations sur l’utilisation des grosses machines mais aussi sur comment percer dans certains matériaux ou sur l’utilisation de plus petits outils. Les personnes qui viennent ici peuvent aussi nous poser des questions, on leur partage volontiers nos astuces. Assez fréquemment, les gens pensent qu’ils ont besoin d’un certain outil et en arrivant ici il s’avère qu’ils ont besoin d’autre chose. Et enfin, on met notre atelier à disposition pour que les gens aient la possibilité d’expérimenter nos outils. On veut réduire les barrières financières qu’ont les citoyens, les associations et tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter de bons outils. Notre but est que les gens aient la possibilité d’être autonomes dans leurs activités de bricolage.
En faisant tout ça on espère aussi promouvoir une certaine cohésion sociale et créer une économie de taille plus humaine.
Comment t’es venue l’idée de ce projet? Est-ce que c’est parce que tu as rencontré une certaine frustration lors d’une session bricolage?
Personnellement je n’ai pas rencontré de frustration. Je pense que ce sont plutôt nos membres qui viennent ici à cause d’une certaine frustration de ne pas avoir les bons outils ou du prix de ces outils !
Monter Tournevie était pour moi une manière de créer un lien avec la ville. Je suis flamand, j’habite à Bruxelles depuis 2010 et même en connaissant bien la ville, je ne me sentais pas très lié et intégré. L’idée de cette outilthèque m’est venue grâce à un article que j’ai lu à propos d’une initiative ressemblante qui se trouve à Courtrai et j’ai trouvé le concept super intéressant. Je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas développer une application ni avoir un gros capital et que c’était quelque chose dont Bruxelles avait besoin. 6 mois plus tard, j’embarquais des amis pour essayer le projet avec moi. On avait trois armoires, quelques outils et on voulait voir ce que ça donnait. Je ne savais pas encore si des gens étaient intéressés par ce projet, si on allait atteindre notre public cible. Grâce à notre campagne de crowdfunding réussie, on a vu que les gens étaient intéressés par ce projet. Ce modèle peut fonctionner un peu partout. À l’heure actuelle, nous avons deux antennes à Bruxelles mais ce n’est pas assez. Je suis certain que la demande est là.
Oui parce qu’en habitant en appartement en ville on n’a pas forcément la place pour stocker des outils. Peut-être que Tournevie ne fonctionnerait pas dans une petit ville ou à la campagne.
Si ça fonctionne aussi ! J’ai assisté à la création d’un outilthèque à Opwijk où ils ont à peu près 150 membres déjà. Ce n’est pas énorme mais c’est un petit village.
Est-ce que tu penses que l’engouement qu’il y a autour de Tournevie est en lien avec le mouvement du minimalisme?
Oui parce qu’on a beaucoup de nos membres qui s’inscrivent dans cette idée. Nous avons même plusieurs membres qui ont une « Tiny House ». Mais je pense que ça va au-delà de ça. Nos membres ont entre 25 et 55 ans, femmes et hommes confondus, dont beaucoup de jeunes couples qui viennent d’acheter une maison et qui font eux-mêmes une partie des travaux. Nous comptons aussi dans nos membres beaucoup d’associations ou des artistes qui font un court-métrage par exemple.
Comment est accueilli Tournevie par Bruxelles?
La Commune d’Ixelles a vu l’avantage d’héberger un projet comme le nôtre pour dynamiser un peu le quartier où on s’est installé (rue Gray, NDLR). Mais contrairement à d’autres villes ou Communes, je vois peu d’enthousiasme de la part de Bruxelles pour soutenir le projet ou venir nous chercher pour qu’on ouvre une nouvelle antenne. Parce que par exemple, la Ville de Courtrai a littéralement donné un bâtiment à une outilthèque locale mais aussi à d’autres projets de partage. Cet endroit est maintenant comme un « noyau» de partage et ça marche très bien parce que les gens savent que c’est là où se trouvent toutes ces initiatives. Cette initiative rend les projets plus visibles, plus attractifs.
Est-ce que tu dirais que l'outilthèque est un peu le concept du futur?
J’en suis persuadé parce que même si maintenant ce n’est encore qu’une sorte d’expérimentation et qu’on est encore une niche, à notre niveau on a déjà développé un modèle qui fonctionne bien et qui peut être copié par n’importe qui n’importe où.
La plus-value pour l’utilisateur est tellement élevée que j’ai du mal à croire que ça ne va pas s’étendre un peu partout. C’est tellement évident !
Il y aura toujours des gens qui vont bien rentabiliser leurs outils parce qu’ils sont bricoleurs et/ou doués mais la plupart des gens n’ont vraiment pas besoin de posséder pleins d’outils différents. Rien qu’au niveau financier, ça a du sens mais ça n’a que du sens si c’est vraiment répandu et si les gens ne doivent pas parcourir une trop longue distance pour atteindre une outilthèque. Plus il y en a mieux c’est.
Mon rêve est que ce genre d’initiative devienne le nouveau normal.
Même si ma motivation est utopiste dans le sens qu’on essaye de préfigurer une nouvelle économie, je pense qu’à un moment donné les gens seront convaincus que c’est tellement logique de faire comme ça. Il ne faut pas être écolo fondamentaliste pour adhérer au concept. Dans notre communication, on essaye d’être transparent et on ne veut pas se donner un label. On veut être là pour tout le monde. Actuellement, on compte environ 500 membres, nos outils circulent beaucoup, il n’y a pas beaucoup d’amélioration à apporter au projet pour qu’il devienne le nouveau normal.
Est-ce que tu as été témoin de prise de conscience de personnes grâce à l’émancipation que le bricolage leur a apporté?
Oui c’est arrivé. On reçoit beaucoup d’encouragements et de remerciements. À plusieurs reprises, j’ai entendu des réactions de personnes disant que sans notre projet ça aurait été presque impossible de réaliser leur projet. Je ne sais pas à quel niveau c’est une vraie transformation de la personne mais en tous cas c’est quelque chose qu’on entend très régulièrement. On entend aussi des gens s’étonner que ce genre de projet n’existait pas avant et qui espère qu’il y aura bientôt un près de chez eux.
En en parlant autour de moi, je n’entends que des réactions positives de gens de droite, de gauche. C’est ça qui m’encourage, au moins ici on peut rassembler et éliminer les clivages politiques, je trouve ça génial.
Tous nos bénévoles ont une motivation différente. Pour certains cette motivation est écologique, pour d’autres elle est sociale ou technique. Il y a une diversité de motivations et c’est un élément clé de notre succès.
Quel est l’idéal vers lequel tend Tournevie? Est-ce qu’il y a projet modèle ou de nouvelles choses que vous voulez développer?
On a beaucoup d’idées mais ce sur quoi on se concentre maintenant est d’optimiser ce qu’on fait et de faire en sorte que ça soit rentable dans le sens qu’on puisse rémunérer les gens qui portent le projet. On ne peut pas et on ne veut pas faire tout, il y a des FabLab ou des MakerSpaces ou encore des professionnels. On veut être complémentaires de ces personnes. Plus les gens sont créatifs et ont du savoir-faire, plus ils vont s’adresser aux professionnels au lieu d’acheter du mobilier préfabriqué par exemple. On veut être l’alternative à cette industrie de masse qui ne produit pas des produits de qualité
Tournevie Molenbeek: en déménagement
Tournevie Ixelles: Rue Gray 200, 1050 Ixelles
Ouvert le jeudi de 18h à 20h (Fermé les jours fériés)
Tournevie Molenbeek déménagera dès cet été à côté de la gare du Midi. Rendez-vous sur leur site ou sur leur page Facebook où leur nouvelle adresse sera bientôt communiquée.
Photos : Agustina Peluffo