J’ai rencontré Cécile il y a un an environ via les maraîchers de L’ELDORADIS chez qui je m’approvisionne en délicieux légumes qui ont poussé dans le respect de la terre à Linkebeek. Je travaillais alors à la mise en place de mon jardin de plantes médicinales et la rencontre avec une passionnée du vivant comme Cécile était tombée à point nommé. Son projet en était alors au stade de la graine, quelques mois plus tard, Tiers-paysage était né. Je suis retournée lui rendre visite sur son champ et nous avons discuté de notre amour commun pour les plantes mais aussi des difficultés physiques, matérielles et infrastructurelles qui surgissent lorsque l’on se lance dans ce genre d’aventure.
Tiers-paysage, c’est qui ?
C’est Cécile, jeune trentenaire installée en Belgique depuis 6 ans qui, après avoir commencé par travailler dans le domaine de la communication, s’en est lassé rapidement et a préféré le contact de la terre humide à celui des claviers. La nature l’a appelée et elle s’est alors tournée vers elle sans savoir exactement quel chemin emprunter. Après une formation en entrepreneur de jardin, une expérience en pépinière et en maraîchage, elle a affiné ses envies et désirs. D’abord, le projet de produire des fleurs de manière responsable, sans utilisation de produits chimiques de synthèse et en travaillant le sol à la main, s’est dessiné, mais également aménager des espaces de culture chez des particuliers, apprivoiser un morceau de terrain ou un rebord de fenêtre, bref, faire avec ce qui existe déjà, plutôt que de plaquer une idée préconçue sur un lieu.
Le “tiers-paysage” est un concept du jardinier-paysagiste français Gilles Clément. Il met en lumière ces espaces délaissés par l’agriculture, non exploités ou abandonnés par les humains et qui regorgent de richesses naturelles en termes de biodiversité.
Ce sont d’abord les friches, les landes, les tourbières mais aussi les bords de routes et de voies ferrées, bref tous ces “tiers” – à prendre ici au sens du “tiers-état”, c’est à dire les masses nombreuses moins privilégiées ne faisant pas partie de la noblesse – que l’on peine à considérer comme faisant partie intégrante de nos paysages.
Tiers-paysage, c’est quoi ?
Difficile de résumer ce projet multiforme en deux lignes ! Cécile voit grand et large, pour elle, le vivant est complexe, multiple, connecté et son projet se doit d’y ressembler. Il s’agit donc de mêler cultures et rencontres, et cela prend forme autant par ses propres cultures que par un accompagnement pour la mise en place de balcons nourriciers en ville ou encore la création d’une grainothèque urbaine.
Ce qui lie toutes ces initiatives, hormis l’énergie folle déployée par sa créatrice, c’est la volonté de tisser des liens entre humains et plantes, avec la volonté de ramener la simplicité dans nos vies, autant en apprenant à récolter ses semences, qu’à cultiver sur une petite terrasse quelques aromatiques, des fleurs, un ou deux pieds de tomates ou s’émerveiller devant la grâce d’une fleur visitée par un bourdon.
Cécile garde toujours en toile de fond l’idée de nous rendre autonomes, indépendants, nous aider à comprendre le cycle de la plante, de la graine à l’assiette, afin de reproduire chez soi et sans son aide, ce qu’elle nous a transmis avec générosité. Lorsqu’elle aménage le balcon d’une colocation bruxelloise, elle cherche à introduire des plantes qui seront adaptées à cet environnement citadin et à l’espace à disposition, il s’agit donc de choisir des espèces pas trop volumineuses et qui peuvent vivre sans pleine terre. Comme le petit poucet qui sème ses cailloux, elle explique aux colocataires comment planter une graine, à quelle profondeur l’enfoncer dans la terre, à quelle fréquence arroser, comment l’exposer au soleil, … Cultiver un peu, beaucoup, mais certainement passionnément, même sur une toute petite surface, voilà l’idée que Cécile sème à tous vents. Elle invite les novices à prendre le temps de regarder les plantes grandir, fleurir et comprendre à quel moment les graines sont prêtes à être récoltées pour la saison prochaine.
La graine est d’ailleurs un élément récurrent dans son projet. Ce sont celles qu’elle sème dans son champ où elle fait pousser avec bienveillance fleurs, plantes aromatiques, fraîches ou sèches, qu’elle vend à des restaurateurs et des particuliers curieux et créatifs en cuisine. Mais ce sont aussi celles qu’elle récolte et collectionne pour d’autres afin de les mettre à disposition dans la grainothèque qu’elle a créée et qui sera hébergée par la bibliothèque francophone d’Ixelles. Elle imagine ce lieu comme un endroit de rencontre et de partage autour des plantes potagères, aromatiques ou médicinales, et qui serait également un terreau fertile à l’organisation d’ateliers avec des créateurs et créatrices ayant un lien avec le monde botanique.
Ce qui anime Cécile c’est cette révolte face à l’appropriation du vivant, notamment le rachat de nos semences par de grands groupes qui se les approprient et créent en laboratoire des graines qui seront fertiles en première année puis stériles l’année d’après, nous rendant dépendants financièrement et appauvrissant au passage notre biodiversité. Cécile nous rappelle que Bruxelles est une ville plus verte et sauvage qu’on ne le croit, qu’on peut y récolter du tilleul au carrefour de Stalle et des graines de coquelicot près du parlement européen.
La passion des graines est une activité contagieuse et quand on y prend goût, on passe des heures à s’émerveiller devant celles du bleuet, avec leurs crêtes de punk, celles du calendula, qui ressemblent à de petits crocodiles, et d’autres si minuscules qu’on peine à s’imaginer qu’elles donneront naissance à de telles géantes…
Une magnifique diversité de formes et de dessins que l’on ne se lasse pas d’observer. Et comme Cécile est une irréductible, elle crée même des papiers ensemencés, faits à base de récupération de papiers brouillon, vieux courriers et chutes en tout genre qui sont agrémentés de fleurs séchées ou de graines qui germent une fois arrosés et mis en terre. Malgré sa passion, Cécile ne cherche pas à cacher la face rugueuse de son métier. Même si elle est bien entourée de ses amis maraîchers Adrien et Brigitta, elle construit seule son projet, avec toutes les difficultés que cela comporte. Elle parle ouvertement de sa fatigue physique, de son manque de temps, des difficultés matérielles et de l’impression d’avancer à la vitesse d’une fourmi devant le travail titanesque que représente la création de buttes de cultures et le désherbage répétitif.
Tiers-paysage c’est où ?
Cécile et ses fleurs sont hébergées sur une partie des terrains qu’occupe l’Eldoradis, dans un jardin de particuliers à la lisière du parc Schavey à Linkebeek. C’est un lieu préservé, entouré d’arbres, sur lequel poussent spontanément toutes sortes d’herbes que l’on qualifie trop souvent de mauvaises : ortie, égopode, plantain, ail des ours, ronce, … autant de plantes que Cécile récolte et dont elle espère qu’elles (re) trouveront leur place dans nos assiettes, au même titre que les fleurs qu’elle cultive et qui peuvent aromatiser nos tisanes, limonades, lactofermentations ou confitures.
Que ce soit sur son site internet ou sa page Instagram, elle partage sans retenue ses expérimentations, découvertes et déconvenues qui nous font vivre avec elle les différentes facettes du vivant, fait de bourgeons, de jeunes pousses et de bourdonnements d’abeilles mais aussi, ne l’oublions pas, d’attaques de limaces, de pucerons voraces et de compost en voie de décomposition.
Une boucle bien bouclée !
Illustrations: Louise Doumeng