Que fait Bruxelles avec ses déchets alimentaires? Pourquoi est-il préférable de traiter ses déchets organiques séparément? Mathias Falkenberg suit la route des déchets alimentaires des Bruxellois et révise les possibilités de l’installation d’une centrale de biométhanisation pour traiter les matières organiques des Bruxellois à Bruxelles.
Le tri des déchets alimentaires : où en est Bruxelles?
En matière de gestion des déchets, Bruxelles suit la tendance des villes qui se veulent circulaires – c’est à dire, qui essayent de rendre utile un maximum de ce que les citadins jettent au quotidien. Le tri du papier et des emballages en métal, en plastique et en verre est déjà établi dans une majorité des villes européennes. En séparant ces matières, le volume des déchets résidus est réduit. Mais on peut encore faire mieux : Bruxelles Propreté, l’agence qui s’occupe de la gestion des déchets des Bruxellois, estime que les déchets alimentaires représentent 40% des sacs blancs.
De plus en plus de bourgmestres s’engagent à réduire les déchets résidus en s’attaquant à cette fraction. Ainsi, des systèmes de collecte de déchets alimentaires ont été introduits dans plusieurs grandes villes à travers l’Union Européenne. Giuliano Pisapia, bourgmestre de Milan jusqu’en 2016, a mis en place un système de collecte exemplaire. Avec deux collectes par semaine, l’utilisation de sacs biodégradables et de strictes amendes en cas de tri erroné, les milanais sont devenus précurseurs en terme de collecte et valorisation de ce type de déchet.
À Bruxelles, la collecte des déchets alimentaires a commencé tout doucement et presque de manière inaperçue il y a quatre ans. C’était à l’époque un projet pilote qui ramassait des sacs oranges auprès de 1.500 ménages bénévoles d’Ixelles et d’Etterbeek. Petit à petit, l’administration a pu étendre cette approche sur presque toutes les 19 communes de la capitale. Selon les derniers chiffres, plus de 16.000 ménages y participent, ce chiffre équivaut à 400 tonnes de déchets alimentaires par mois. C’est un début. Mais à Milan on récolte plus que le double.
Que fait Bruxelles avec les déchets alimentaires?
Les déchets alimentaires sont envoyés vers une installation de traitement, situé à Ypres, qui les transforme en électricité et en compost. L’électricité est produite en déclenchant un processus de fermentation qui est similaire à la production de bière ou de vin. De l’eau est ajoutée à la matière organique afin d’obtenir une purée dans laquelle une multitude de bactéries s’attaquent aux glucides, protéines et lipides. Après deux semaines et plusieurs étapes de transformation, le produit final est un mélange de gaz dont 60% de méthane. C’est surtout le méthane qui est intéressant énergétiquement. Le gaz est enfin brûlé et la chaleur est transformée en électricité. La production à Ypres est équivalente à la consommation annuelle d’électricité de 2.000 ménages.
Dès que les bactéries ont terminé leur tâche, le résidu organique, appelé digestat, est séché et ajouté au processus de compostage. Il rejoint ainsi les matières organiques qui sont directement envoyées au compostage car elles ne servent pas à la production de méthane. Il s’agit notamment de déchets ligneux comme on en trouve dans les déchets de jardins. À Ypres ce type de déchet en provenance des alentours est aussi accepté.
Contrairement aux bactéries intervenant dans le processus de la fermentation, celles responsables pour le compostage ont besoin d’air. Le mélange de digestat et de déchets de jardin est donc gardé dans des tunnels aérés. Les bactéries chauffent la matière jusqu’à 70 degrés. Ce processus dure environ 3 semaines.
Afin de tester le compost produit partiellement à partir des déchets alimentaires dans les sacs oranges bruxellois, vous pouvez vous rendre en Flandre. Les points de vente les plus proches de la capitale se trouvent dans les centres de recyclage à Louvain, à Bertem ou à Vilvoorde. Cherchez les sacs de compost qui ont le label « VLACO ».
Est-il préférable de traiter les déchets biologiques séparément?
La prochaine fois que vous préparez un repas, avant de vous débarrasser des restes organiques, sachez que la ville vous laisse actuellement le choix de les envoyer à deux adresses différentes. En les jetant dans un sac orange ils sont envoyés à Ypres. En les jetant dans le sac blanc ils sont envoyés en direction du canal de Bruxelles à hauteur de Laeken. C’est là où est situé l’incinérateur des ordures ménagères non-triées de Bruxelles.
Comme à l’installation d’Ypres, l’incinérateur produit de l’électricité. En brûlant les sacs blancs, la production de Laeken est actuellement égale à la consommation d’électricité annuelle de 65.000 ménages. Depuis 2016 l’incinérateur est connecté au réseau de chaleur de Bruxelles. En combinant la production d’électricité et de chaleur, l’efficacité énergétique a pu être maximisée.
Quels sont donc les avantages à trier et envoyer les déchets alimentaires sur un voyage de 100 kilomètres afin de les transformer en énergie à Ypres au lieu de les transformer en énergie à Bruxelles?
La différence la plus évidente d’abord. L’incinérateur ne produit pas de compost. Le compost peut remplacer d’autres fertilisants utilisés en agriculture. Il est évident que l'utilisation de compost produit localement est beaucoup plus durable que les engrais minéraux étrangers, notamment, en provenance de mines tunisiennes ou chinoises. En triant les déchets alimentaires, les citadins peuvent donc contribuer à rendre l’agriculture plus durable.
L’incinération produit des déchets. Les particules toxiques des fumées sont capturées par des filtres et mises ensuite en décharge. De plus, l’incinération produit une sorte de boue pour laquelle il existe peu d’options d’utilisation.
Finalement, il est préférable de traiter les déchets alimentaires séparément pour la production d’énergie car l’efficacité énergétique du processus de fermentation est généralement plus élevée que celle du processus d’incinération et la production d’énergie est moins coûteuse. En fait, l’efficacité énergétique du processus de fermentation est maximisée si, au lieu d’utiliser le mélange de gaz pour la production d’électricité, la fraction de méthane est séparée afin de pouvoir injecter ce « biométhane » dans un réseau de gaz naturel. Ceci n’est pas le cas à Ypres mais c’est pratiqué, par exemple, juste à côté – à Lille. Le « biométhane » est injecté non seulement dans le réseau de gaz et y remplace du gaz naturel. Il sert aussi à remplir une flotte lilloise de 150 bus qui depuis plus de dix ans roule au gaz.
Et pourquoi ne pas investir pour traiter les déchets alimentaires des Bruxellois à Bruxelles?
Le débat traîne depuis longtemps : ne serait-il pas préférable de construire une installation de fermentation à Bruxelles ? Le bilan écologique du tri et de la transformation en biogaz et en compost des déchets alimentaires des bruxellois est clairement affecté négativement par leur transport vers Ypres – à une distance de 120km.
Pourquoi ne pas investir afin que la capitale puisse profiter de la production du biogaz pour alimenter sa flotte de bus et son réseau de gaz?
Depuis 15 ans, Bruxelles maintient un centre de compost pour transformer les déchets de jardin. Situé à Forest il transforme environs 18.000 tonnes de déchets de jardin. Sa capacité est inférieure aux 30.000 tonnes que la capitale produit. Pourquoi alors ne pas investir dans un centre de valorisation qui combine fertilisation et compostage et peut donc aussi être alimenté par les déchets alimentaires ?
J’ignore les plans de l’administration mais il me semble que l’agence Bruxelles-Propreté est bien au courant de la question. J’imagine qu’on a hésité à prendre une décision avant de voir si le tri des déchets alimentaires est accepté par la population. Ceci est nécessaire afin de garantir un flux stable et important pour alimenter une telle infrastructure. Si cette pensée est correcte, ne peut-il pas dire qu’avec chaque ménage qui commence à remplir des sacs oranges la décision sur un investissement devient plus pressante ?
D’autres solutions existent-elles?
Que faire si vous n’êtes pas convaincu par la solution trouvée par le gouvernement bruxellois, mais que vous voulez quand même trier les déchets alimentaires afin de réduire les déchets incinérés à Laeken ? Une autre solution est offerte par WORMS , une a.s.b.l. bruxelloise. Elle s’engage à promouvoir des petits composts de quartier. Ils en existent déjà plus que 120. On les trouve habituellement dans les petits parcs Bruxellois qui souvent ne sont connu que par les résidents du quartier. Il est proposé d’y déposer ses déchets organiques, les déchets alimentaires inclus. L’asbl offre une carte visualisée afin de trouver le compost le plus proche.
C’est une alternative à la collecte des sacs oranges qui offre des avantages : les déchets alimentaires ne voyagent pas à travers la Flandre. Le circuit des déchets est donc plus local. De plus, il n’est pas nécessaire d’utiliser les sacs oranges, donc la consommation de plastique est réduite.
Mais il faut savoir que ce type de composts déclenche des processus de fermentation similaires au processus industriel. La fermentation se déroule dans les zones anaérobiques* qui existent dans ces composts. Les composts produisent donc du biogaz, qui contient des gazs à effet de serre, ensuite relâchés dans l’atmosphère. Dans des installations de traitement comme à Ypres ou encore Lille, le biogaz est capturé et utilisé.
Les avancées en gestion des déchets organiques se font sentir dans la capitale, mais ne faudrait-il pas encore trouver une troisième option qui combinerait les avantages d’un traitement semi-industriel des déchets organiques avec ceux du système décentralisé que l’on connaît actuellement?
* une zone anaérobique est un endroit où il existe des micro-organismes qui se développent uniquement en l'absence d'oxygène
Illustrations : Nina Cosco