HARMONIE BEGON est designer de formation, illustratrice et cuisinière. En tant que designer, ses recherches ont toujours gravité autour de l’alimentation et de la cuisine. Et c’est là, dans la cuisine, qu’elle retrouve un lien au quotidien et au partage qui lui manquaient dans le monde du design. Nous avons découvert une personne avec une vision engagée et inspirante, aussi vivante et généreuse que sa façon de cuisiner.
Quel est ton parcours ? Et comment en es-tu arrivée à la cuisine?
Mon coeur a toujours balancé entre l’art et la cuisine. Je cuisinais beaucoup avec ma mère, on tentait toujours des nouvelles choses, pour notre famille surtout. Après le bac j’ai beaucoup hésité, mais j’ai eu peur des études de cuisine, de la dimension très stricte et précise, de l’apprentissage de la cuisine, qui est cependant nécessaire je l’admets ! J’étais très contente de mon choix, je peignais et dessinais beaucoup au début, et tout mes projets tournaient autour de la cuisine, de questions sur l’alimentation.
Lorsque j’ai commencé mon cursus de design, je me suis concentrée sur la production artisanale des objets. Je suis partie travailler quatre mois à Mexico pour le Designer Moisés Hernández, car il travaille avec des artisans de son pays sur des objets qui ont une place importante dans la culture Mexicaine, et dans les usages quotidiens. Je suis ensuite partie faire des études de terrains dans des villages au Maroc où j’ai documenté aussi bien les techniques traditionnelles de poteries pour mon diplôme, que les recettes et la cuisine locales.
En 2017, j’ai passé un mois avec une potière, Assia Yazghi, et j’ai écrit mon mémoire sur toute la situation vécue là-bas. J’y aborde aussi bien mes questionnements sur la condition des femmes, les impacts du tourisme sur cet artisanat, que les relations entre les artisans et les designers ou entrepreneurs qui travaillent avec eux. Durant ce mois nous avons fabriqué elle et moi, de nombreux objets imaginés pour ses besoins quotidiens. J’ai présenté une partie de ces objets lors d’un évènement qui a pris la forme d’un déjeuner. Tous les plats étaient préparés et servis dans les poteries créées avec Assia, et tous étaient des recettes apprises auprès d’elle.
J’ai continué par la suite à présenter les objets lors de repas ou d’ateliers afin que les participant puissent en apprécier l’usage. Ces objets ne font pas sens posés sur des étagères, il faut les faire vivre, les activer, afin qu’ils puissent exprimer tout le contexte de ma recherche, leur lien avec l’usage, le quotidien et la cuisine. À mes yeux, tout était lié.
J’ai continué ces recherches à Strasbourg, en travaillant avec un potier traditionnel, la Poterie Ernewein-Haas, qui revendique l’usage d’une terre locale, extraite dans la forêt voisine. Je travaille avec lui et son fils sur des objets qui mettent en valeur les qualités particulières de sa terre, notamment pour la cuisson au four. De la même façon que pour les poteries marocaines, nous avons présenté ces objets lors d’un évènement où j’ai cuisiné l’ensemble du menu dans nos poteries. Les objets sur lesquels je travaille aujourd’hui sont ainsi liés à l’artisanat local, aux usages quotidiens et à la cuisine. J’essaie d’appliquer aux objets le même engagement que l’on prend lorsqu’on s’intéresse à la production locale, et saine pour l’alimentation.
Tu nous a écris en nous disant que tu souhaitais donner une place plus importante à la cuisine et au travail d’illustration dans ta vie professionnelle, peux-tu nous en dire plus?
J’ai réussi à retrouver une autonomie en revenant à l’illustration, au dessin. J’ai réalisé qu’au cours de toutes mes expériences de terrain, la cuisine et l’illustration avaient pris une place très importante. J’ai documenté ingrédients, techniques, et recettes, que ce soit au Mexique, ou dans les différents villages où j’ai travaillé au Maroc, mais également ici, en Alsace où je vis. Cette documentation passe par la photographie, et par le dessin et l’écriture. J’aime illustrer les étapes d’un geste, représenter en quelques dessins une recette, et raconter ces moments d’échanges. Car il y a des rencontres derrière chaque recette de mes carnets.
Même au cours de mes voyages personnels, c’est à travers cet intérêt assez universel pour la cuisine que je fais des rencontres. Je dis universel, car
je ne m’intéresse pas uniquement aux recettes-patrimoines, ou aux spécialités locales, au contraire, les recettes très quotidiennes et importantes à chacun m’intéressent plus encore.
J’ai ainsi rempli mes carnets de ces récits dessinés de cuisines. Le design est une profession dans laquelle je me retrouve de moins en moins, qui me confronte souvent à des dilemmes éthiques m’empêchant de m’engager dans certains projets. J’ai fait une coupure l’année dernière, en travaillant dans un restaurant. J’ai adoré cuisiner tous les jours, et enfin être cuisinière à plein temps, mais mon travail personnel, mon travail plastique, et mes recherches me manquaient. J’ai ainsi fait tout l’un, tout l’autre, et aujourd’hui j’essaie de trouver un équilibre entre les deux !
Dans tes recherches design tu as travaillé la notion de patrimoine et savoir faire, comment tu arrives à traduire ça en cuisine ?
Je pense que dans mes recherches de design, le patrimoine culinaire était déjà liée à ces patrimoines artisanaux, car j’ai étudié surtout des productions de poteries alimentaires, utilisées dans la vie quotidienne, ce sont ces objets qui m’intéressent : ceux dont on use, et non pas ceux qui décorent. Je me suis donc intéressée aux pratiques culinaires liées à ces objets.
Et de la même façon que pour les objets, j’aime garder une trace, documenter les savoir-faire, mais ne sacralise pas pour autant ce patrimoine culinaire. Il ne doit pas rester intact, comme dans un musée, ou une recette posée sur le papier et respectée à la lettre. Selon moi, ce patrimoine est vivant car mouvant, il mute, il s’adapte à nous, à nos goûts, nos modes de vie, nos inspirations.
Ainsi lorsque je cuisine, j’adapte. Avec ce que j’ai, avec ce que je préfère. Surtout lorsque je réalise des recettes du Mexique ou du Maroc, je ne vais pas chercher à tout prix le piment de la recette, j’improvise avec du plus local !
De la même façon, j’ai une bibliothèque qui abonde de livres de cuisine, et parmi eux certains grands classiques, disons alors que le patrimoine de la cuisine française est là. Mais une fois encore, je ne le sacralise pas, j’y cherche les bonnes bases, et me permets d’enlever souvent beaucoup de beurre, beaucoup de sucre, et puis je simplifie !
A l’heure de te mettre aux fourneaux, quelles sont tes inspirations?
Au quotidien, je dirais que c’est d’abord ce que j’ai dans mon frigo, donc ce que j’ai acheté au marché. Et au marché, l’inspiration vient sur place. J’y vais, comme je le ferais en brocante, je regarde tout le côté droit, puis je reviens en regardant tout le côté gauche, et après je vais acheter ce qui m’a plu, ce qui m’a donné des idées. Au moment de cuisiner, je sors des ingrédients pour faire un tout équilibré.
Évidemment, il y a aussi les livres. Ma bibliothèque ne contient pas seulement les classiques, mais également beaucoup de trésors de brocantes, de vieilles revues, et évidemment des livres plus récents, les beaux livres, qui parfois se concentrent sur un seul chef, ou un mode de cuisson, ou une région, un type d’aliment. On peut dire que je collectionne les livres de cuisine. Dans les magasins d’occasion, je dissèque le rayon de haut en bas, de manière très stratégique pour ne pas rater une perle rare. Et enfin, je suis évidemment inspirée par mes découvertes, durant mes voyages, tout ce dont je vous ai parlé plus haut, et par les discussions et les repas avec des amis avec lesquels j’échange des idées et des goûts ! Je cuisine des choses qui m’ont plues ou surprise et que j’ai envie de faire découvrir à mon tour.
Quel est le meilleur conseil cuisine qu'on t'ait donné ?
Ma mère m’a appris à toujours ranger au fur et à mesure, ce qui me contrariait enfant. Maintenant j’apprécie d’avoir ce réflexe de ranger, laver au fur et à mesure, pour toujours travailler sur un plan de travail impeccable.
Quel est ton premier souvenir, ton premier émoi culinaire?
Cette question est vraiment difficile. J’ai cherché longtemps, repensé à mon enfance et tant de choses viennent, mais elles sont davantage liées à des habitudes familiales qu’à la nourriture elle-même. Je pense notamment aux expérimentations du Dimanche soir où, nous les enfants, étions libres de créer nos recettes et nos repas en piochant dans le frigo, entre les restes du week end et les réserves des placards.
J’avais alors créé l’ignoble recette du thon-chips, qui reste mémorable dans la famille.
Mais je vais choisir comme exemple gustatif ce jus gras du poulet rôti que l’on verse dans le creux, le volcan, patiemment formé dans la purée de pomme de terre maison... Ce mélange, purée et jus reste un grand souvenir d’enfance.
Tu as choisi de partager avec nous une recette mexicaine, quel rapport as tu avec la gastronomie de ce pays?
Un amour inconditionnel, je pense que la cuisine mexicaine est ma préférée. Je suis particulièrement passionnée par les tacos, et la cuisine de la rue, grasse, fraîche, acide, épicée, et chaude en même temps. En arrivant, j’ai fais une énorme liste de tout ce que je souhaitais goûter durant mes quatre mois de séjour. Je demandais aux gens que je rencontrais d’enrichir cette liste. Ainsi j’ai finis par manger parfois quatre fois par jour, ou bien je commandais deux plats pour le même repas, afin de ne rien rater. Je n’ai pas voyagé au Mexique, j’ai vécu à Mexico city, et j’ai fait presque tous les marchés de la ville. Les principaux, les marchés couverts et puis les marchés ponctuels aussi. Je crois que le jour et l’endroit du marché sont les premières choses que je regarde lorsque j’arrive quelque part. Il y a beaucoup de petits bouis-bouis, où tout est frais, tacos de viande, de poissons, des fritures…au marché j’étais vraiment obligée de m’arrêter à plusieurs d’entre eux, car il m’était impossible de ne goûter qu’un ou deux plats. Sur place, j’ai donc appris beaucoup de recettes afin de pouvoir continuer à manger mes plats préférés en France, en les adaptant avec ce que je peux trouver ici. Ma colocataire de Mexico, Alicia, qui m’a appris à faire les tortillas et les quesadillas fritas, vit aujourd’hui à Paris, elle est traiteur, donc pour les parisiens allez voir « Monsieur Cactus » ! Sinon à Strasbourg, je viens de rencontrer un couple de mexicains qui sont aussi traiteurs, leur nom est « Bésame Mucho », j’avais envie de vous partager cela, afin que chacun puisse découvrir ou retrouver le bonheur des vrais tacos mexicains.
Recette
Ingrédients
- Mélange farine de maïs, farine de blé ou « masa »
- Sel
- Piment
- Poivre
- Oignon rouge
- Citron vert
- Vinaigre
- Huile d’olive
- Champignons de paris bruns et frais
- Salade
- Fromage
Pour faire les tortillas de maïs, il faut normalement utiliser de la « masa » (farine de maïs nixtamalisée : les grains de maïs séchés ont été cuits et trempés dans l'eau de chaux). Si vous ne pouvez pas vous procurer cette farine spéciale, vous pouvez faire la recette en mélangeant farine de maïs et farine de blé, en proportion égales.
Versez dans un saladier 250g de « masa », ou 125g de farine de blé et 125g de farine de maïs. Ajouter une pincée ou deux de sel fin, et peu à peu, versez de l’eau tiède. Il en faudra environ 15cl, mais versez petit à petit en mélangeant à la main, et arrêtez de verser lorsque vous obtenez une pâte lisse, homogène qui ne colle pas, ne s’effrite pas.
Laissez reposer un peu la pâte, une vingtaine de minutes, couverte d’un torchon (mais si vous êtes pressé vous pouvez passer à l’étape suivante directement). Formez des petites boules de pâte bien lisse, en les roulant entre vos mains. Elle doivent faire environ la taille d’une grosse prune.
Si vous ne possédez pas de presse à tortilla, pas de problèmes ! Voici ma technique : après avoir fariné le plan de travail, je place un petite boule de pâte et je l’écrase d’un coup par au dessus à l’aide du dessous d’une assiette. Ensuite, j’affine la tortilla en l’étalant à l’aide d’un rouleau en bois. Elle doit faire un millimètre d’épaisseur environ. Si je veux qu’elles soient bien rondes, je place un bol retourné sur la pâte étalée et j’en découpe proprement les contours. Je farine toujours les tortillas légèrement à la fin pour éviter qu’elles ne collent au plan de travail.
Pour la cuisson, faites chauffer une poêle, placez la tortilla dans la poêle bien chaude, une minute de chaque côté, elle ne doit pas être croustillante, mais rester bien souple. Placez-les directement dans un torchon propre, en les superposant. Quand tout est cuit, repliez le torchon pour bien gardez les tortillas. La chaleur les gardera bien souple le temps de servir, c’est pourquoi en général, on ne mange jamais la tortilla du dessus, elle reste-là pour refermer la pile et conserver correctement les autres.
Pour les garder jusqu’au lendemain, emballez ce torchon dans un sac plastique et fermez-le. Pour les garder plus longtemps, le mieux est de les congeler.
Pickles
Coupez finement un ou deux gros oignons rouges (ou une dizaine de petits), et placez-les dans un petit saladier. Versez dessus le jus de huit citrons vert, deux cuillères à soupe de vinaigre (de cidre par exemple), une cuillère à soupe d’huile d’olive. Assaisonnez avec du sel et du piment. Laissez mariner.
Nettoyez les champignons et faites-les revenir dans une cocotte avec du beurre, environs 25 minutes. Salez, poivrez et pimentez à votre goût. (Vous pouvez aussi les faire revenir avec un piment entier frais ou séché).
Dressage
Dans une poêle, à feu doux, placez une tortilla, et déposez dessus une fine tranche de fromage type manchego de préférence. Lorsque le fromage fond, ajouter les champignons, quelques oignons marinés, une ou deux pousses de jeune salade (radicchio, cresson…). Coupez un citron vert en quatre, et pressez un quartier de citron sur votre taco, pliez, et mangez.
Illustrations: Harmonie Begon