Bruxelloises et Bruxellois, vous l’avez sans doute déjà croisé, le soir, au printemps ou à la fin de l’été, au détour d’une ruelle, ou même en plein jour, dans un parc, un jardin. Lui, c’est maître goupil, le flamboyant témoin de la présence incontestable de la nature en ville. Un hôte agile et futé qui a su s’adapter au milieu urbain et en tirer parti. S’il peut susciter l’émoi et, dans une moindre mesure, le ressentiment, le renard, en inscrivant son empreinte sur le territoire humain, interroge les modalités d’une cohabitation avec le sauvage.
LA RECONQUÊTE SPATIALE
Petit canidé à l’allure féline, le renard, ou Vulpes vulpes, se reconnaît à son pelage roux, ses oreilles pointues ourlées de noir et sa queue touffue. Dès les années 1980, il rejoint la périphérie bruxelloise depuis la campagne flamande. Bénéficiant du statut de protection étendu à toute la faune sauvage de la capitale, il parvient à y prospérer grâce à ses incroyables facultés d’adaptation. Majoritairement présent au sud-est, il a pu progresser vers le nord en empruntant notamment les voies de chemins de fer. Du fait de la fragmentation du territoire induite par le réseau routier et les infrastructures, le renard fréquente peu l’ouest et le centre, même s’il a pu être aperçu près de la Grand-Place. Depuis son incursion aux abords de la forêt de Soignes, l’espèce vulpine semble donc avoir durablement établi ses quartiers à Bruxelles puisqu’on y recensait, déjà en 2015, entre 2500 et 3000 individus !
UNE ESPÈCE EN DEVENIR
Champion de l’adaptation, le renard peut vivre dans une multitude de biotopes différents. Pour s’épanouir en ville, il a su se plier à quelques ajustements, et pas des moindres ! Ces modifications se marquent à tous points de vue : tant au niveau de son comportement que de sa physionomie.
Des territoires en partage
En milieu rural, le renard délimite un territoire, parfois divisé en secteurs, qu’il partage avec quelques individus proches (souvent un mâle, accompagné de deux à trois femelles). En ville, l’espèce, pourtant réputée solitaire, pourrait se regrouper en petites communautés relativement hiérarchisées. Selon Chloé Vanden Berghe, qui étudie les renards bruxellois dans le cadre de sa thèse en anthropologie, il est ainsi possible que plusieurs groupes évoluent sur le même territoire. L’occupation d’un même espace par différentes familles donne lieu à davantage d’interactions sociales entre adultes. Par ailleurs, comme a pu l’observer la chercheuse, des relations complexes se tissent entre les membres d’un groupe telles que la coopération pour l’élevage des petits ou encore des rapports de pouvoir fluctuants.
Cette promiscuité s’explique par la disponibilité alimentaire en zone urbaine, qui a une incidence directe sur la domaine vital des renards. Ainsi, plus il y a de nourriture, plus le territoire est restreint puisqu’il n’y a pas lieu de se déplacer bien loin pour se mettre quelque chose sous la dent.
En raison de l’abondance de nourriture en agglomération, la densité de population de renards y est donc plus importante qu’elle ne le serait en milieu forestier. Une surpopulation n’est pourtant pas à craindre, car l’espèce se régule d’elle-même : il y a autant de renards que le territoire le permet.
Un charmant éboueur
De fait, la ville regorge d’opportunités, et surtout, de victuailles pour cet opportuniste au régime omnivore. Le menu du goupil bruxellois varie ainsi sensiblement par rapport à celui de son cousin des bois. Tandis qu’en campagne, le renard se nourrit principalement de petits mammifères, de végétaux, d’oiseaux et d’invertébrés, en ville, les déchets alimentaires constituent une part non négligeable de son alimentation. Il joue de plus le rôle d’agent sanitaire en consommant les charognes et en limitant la prolifération des rongeurs.
Une nouvelle espèce ?
En plus d’avoir adapté ses déplacements, son comportement et son régime alimentaire à la vie citadine, le renard aurait également évoluer morphologiquement, en seulement quelques générations.
Selon des études menées en Angleterre, des différences génétiques croissantes sont à remarquer entre les renards urbains et ceux des campagnes environnantes. Le renard des villes présente ainsi un crâne plus petit, une mâchoire moins développée et est doté d’un museau plus court. Ces évolutions s’expliquent par le mode de vie des renards en ville : ayant un accès plus aisé à une nourriture foisonnante, ceux-ci n’ont plus le besoin impérieux de chasser. Leur mâchoire est donc moins aguerrie et leur odorat moins développé, des traits que l’on retrouve chez les chiens domestiques ! Cette transformation relève en effet du « syndrome de domestication » qui touche certains animaux évoluant au contact de l’environnement humain. Les différences notoires entre renard des champs et renard des villes pourraient-elles ainsi mener à l’apparition d’une nouvelle sous-espèce, inféodée au milieu urbain ? Dans tous les cas, le renard n’est plus à considérer comme un intrus, mais bien comme un cohabitant à part entière, qui évolue en toute autonomie dans l’un de ses habitats naturels : la ville.
Pour une cohabitation plus joyeuse…
Cet article vous a par la teneur alléché·e·s ? Nous poursuivrons nos pérégrinations citadines aux côtés de maître renard dans un prochain article. Nous y aborderons la question de la cohabitation avec le sauvage et des adaptations à envisager pour accueillir la biodiversité en ville.
Illustrations: Julie Pernet