1030 BLACKWOOL est une initiative 100% bruxelloise de valorisation de laine de mouton Zwartbles. En tant que designer, Pauline Dornat, fondatrice du projet, estime essentiel de sensibiliser le public à une consommation plus durable et éthique. En proposant des ateliers autour de la transformation de la laine elle cherche aussi à favoriser les échanges et la rencontre intergénérationnelle et multiculturelle. Elle nous raconte comment la laine contribue à repenser les manières de vivre ensemble dans notre ville.
Comment est né le projet 1030 BlackWool? Et d'où vient son nom?
1030 BlackWool est né d’une rencontre avec David D'Hondt, un de mes voisins Schaerbeekois et de son troupeau de brebis Zwartbles. J'avais l'envie de valoriser une laine locale afin d'éviter de me fournir dans de grandes enseignes et il se fait que David cherchait à faire valoriser sa laine également. J'ai mis en place des ateliers dits de « transmission de savoir-faire », je souhaitais faire renouer les habitants avec des traditions et savoir-faire en cours de disparition. Au travers des ateliers je me suis rendu compte que la laine était également un vecteur d'échanges et de rencontres multi-culturelles et intergénérationnelles. Ça a été un moteur qui m'a donné envie de développer le projet dans ce sens.
Pour le nom, 1030 est le code postal de Schaerbeek, là où le projet à vu le jour et BlackWool pour laine noire en anglais (brune en réalité mais par abus de langage on dit que ce sont des moutons noirs..). Et 1030 BlackWool ça sonne bien non ?
Le traitement de la laine consiste en plusieurs étapes."Du mouton au chausson", peux-tu nous expliquer en quoi consistent ces étapes?
Avant d'arriver au chausson fini, de nombreuses étapes se cachent. Tout d'abord il faut savoir que la toison du mouton est tondue tous les ans aux alentours de Pâques (cela varie d'une région à l'autre en fonction de la température et si les animaux sont en bergerie ou en extérieur). La toison est ensuite triée, c'est à dire qu'on retire toutes les impuretés, paille, brins d'herbe, crottes, insectes, etc. Au plus on est minutieux au plus on aura un fil de qualité. C'est la seule étape totalement artisanale dans le processus. Il faut savoir qu'une toison encore sale ne pourra pas être acceptée en filature. Ensuite, la toison passe au lavage (une bassine d'eau et du savon de Marseille pour ma part). Un lavage de cette manière sert à nettoyer la fibre en conservant la lanoline (ou suint, graisse naturellement présente sur la fibre). La toison est ensuite prête à être cardée, ce qui consiste à brosser la laine de sorte à rendre parallèle les fibres et retirer les dernières impuretés. Cela permet également d'homogénéiser la couleur de la toison. C'est aussi à ce stade que nous pouvons faire des mélanges de couleurs dans le cas de toison de races différentes ou de toisons teintes. La fibre est maintenant prête à être filée au rouet ou au fuseau ! Une fois la pelote réalisée il n'y a plus qu'à s'installer confortablement pour tricoter des chaussons tout chaud pour l'hiver.
Peux-tu nous en dire plus sur l'importance de valoriser la laine localement?
Il est nécessaire aujourd'hui de valoriser toute ressource locale avant d'en faire produire ailleurs. Pour ce qui est de la laine, il faut savoir que cette matière est bénéfique pour plus d'un secteur d'un point de vue local. Premièrement pour l'entretien des espaces verts, les moutons remplacent sans soucis les produits phytosanitaires et tondeuses. Et en plus, ils nourrissent le sol avec leurs excréments (en revanche il faut accepter que la pelouse ne soit pas tondue comme un terrain de golf). Ensuite il y a le bénéfice d'un point de vue social. Dès lors qu'il y a des animaux en ville, ils créent une zone de rencontre, d'échange, une bulle de calme dans le stress de la ville. Les animaux apaisent. Et enfin pour la consommation (viande, produits laitiers, laine,...) quoi de mieux que de consommer les produits qui viennent directement de son quartier ?
Si je valorise cette laine bruxelloise aujourd'hui c'est pour soutenir les initiatives de bergers urbains (et donc les nouvelles manières de penser et d'habiter la ville).
Je souhaite sensibiliser les habitants aux ressources qui les entourent, partager et attirer l’attention à ce qui pour moi est une meilleure consommation et montrer que ce n'est pas forcément plus cher. Un beau pull artisanal et local sera toujours moins cher que les 10 pulls d'une grande chaîne de distribution en synthétique.
Enfin, valoriser une laine locale c'est également redonner une place au travail artisanal en ville et recréer du lien entre les habitants. À l'heure où tout est de plus en plus dématérialisé, vidéoconférence, échanges mails, achats en ligne, je reste persuadée que travailler avec ses mains, être au contact de la matière, est plus que bénéfique, même essentiel, pour notre bien être.
Comment se déroule le circuit de la laine Bruxelloise? Quels types de laines sont les plus courants?
Bruxelles compte plusieurs petits élevages de brebis mais rare sont ceux qui font ça uniquement pour la laine, ce n'est pas du tout rentable. Souvent la laine est un complément de revenu.
Concernant les races, il y en a plusieurs: la race laitière, celle à viande, une « tout-terrain » pour entretenir les espaces vert, etc. Je travaille avec la laine des moutons Zwartbles de David. Ce n'est pas la laine la plus douce qui existe, je dirais même qu'elle est rustique cependant elle a l'avantage de feutrer difficilement et de gonfler au lavage. La plupart des toisons partent dans une micro-filature à côté de Namur pour en récupérer des pelotes et de la laine cardée.
En Belgique nous avons la chance d'avoir le siège de la Filière laine qui fait le pont entre les différents acteurs européens de la laine peu importe leur taille. Il ne faut également pas oublier que Verviers a été pendant très longtemps le berceau de la transformation de la laine en Europe. Il y reste encore aujourd'hui quelques entreprises, malheureusement trop grandes pour valoriser la laine de quelques brebis.
A l'échelle de mon projet, je récupère le reste des toisons de David pour les ateliers que j'organise dans mon espace ou dans des écoles et asbl. Au travers de ces ateliers je propose des activités pour apprendre à transformer la laine de la toison au produit fini. Les ateliers sont destinés aux enfants comme aux adultes et se font d'une manière ponctuelle ou regroupés sur plusieurs séances.
Comment vois-tu évoluer le projet dans un futur proche ?
Après presque un an à avoir développé uniquement le projet via des ateliers et donc mis en avant l'aspect « transmission de savoirs » du projet, je sens que c'est le moment de travailler sur des objets finis. Le confinement a fait naître plusieurs idées et je suis donc en train de mettre en place plusieurs collaborations avec des créateurs pour proposer bientôt plein de nouveautés en laine. L'idée de travailler en collectif ou de réunir plusieurs artisans ou savoirs-faire ensembles est importante pour moi.
Un espace d'expérimentation textile est aussi en cours d'élaboration. Dans un premier temps lié à la laine mais très vite on pourrait ouvrir à plus de choses et pour cela nous travaillons également en collectif.
As-tu un projet alternatif Bruxellois à partager avec nous?
Le projet que j'aimerai vous partager c'est « Design for resilience » de Vanessa Colignon. Un projet qui valorise également la production locale, écologique et responsable en mettant en avant le travail du lin. Le nord de l'Europe a longtemps été le berceau de la culture et de la transformation d'un lin de grande qualité. Aujourd'hui, les savoir-faire liés au travail de cette matière ont été délocalisés et Vanessa tente de renouer le contact avec tous ces secteurs. Une de ses recherches porte sur les éponges de vaisselles naturelles et durables, une chouette initiative à soutenir et que je vous invite à découvrir plus en détail sur son site internet.
Illustrations : Léa Decan