Pleine Terre: « Il faut tout imaginer et proposer de nouveaux modèles »

Hiver 2020

Se lancer dans une démarche de vie écoresponsable et résiliente, c’est facile à dire mais par quoi et par où commence-t-on? L’asbl Pleine Terre aide les citoyennes et citoyens à gagner en résilience dans les domaines de l'environnement, du social et de l’alimentaire. De la création de jardins comestibles à l’organisation de stages nature pour les enfants en passant par des cycles de formation, Pleine Terre multiplie les portes d’entrée parce que “chacun commence par ce qu’il peut, où il peut.” Entretien.


 

Pleine Terre a l’air très dynamique et semble travailler sur plusieurs missions différentes, quelles sont-elles?

Ce qu’on cherche, à travers Pleine Terre, c’est accompagner les citoyens qui souhaitent adopter un mode de vie plus respectueux de l’humain et de l’environnement. Les aider dans leur démarche, leur faciliter la tâche. 

Le travail est vaste, chacun commence par ce qu’il peut, où il peut. C’est pour ça que nous avons développé des activités très variées ; pour toucher un public aussi large que possible. Pour les enfants, nous organisons des stages nature et des ateliers. L’objectif est vraiment de leur (re)donner goût à la vie dans la nature. Ce sont les enfants qui définissent le programme des stages ; les activités sont très variées : recettes de cuisine, bricolage, potager, jeux, ... 

Pour les adultes, nous organisons chaque année un cycle de formation au potager et on est en train d’élaborer d’autres formules sur des thèmes comme la biodiversité au jardin ou le zéro déchet. On accompagne aussi les particuliers ou les groupes dans l’aménagement de leur jardin ou de leur potager. 

Hiver 2020

Sur votre site, vous évoquez beaucoup la notion de résilience, en quoi est-elle nécessaire dans une ville telle que Bruxelles et par quelles moyens les citoyens peuvent s’y atteler?

La résilience c’est la capacité pour un système à surmonter un choc ou une altération de son environnement. 

Aujourd’hui les villes telles que Bruxelles ont été construites sur un mythe d’immuabilité : comme s’il y aurait toujours plus de croissance, un système de libre-échange, une capacité d’extension et une disponibilité des ressources infinies. Mais évidemment on sait que ce n’est pas vrai. Rien que la raréfaction des ressources pétrolières ou le changement climatique remettent en cause pas mal de choses : nos villes sont de véritables colosses aux pieds d’argile. 

Il faut tout réinventer. Imaginer et proposer de nouveaux modèles, à échelle locale et humaine. 

Il y a des tas de manière de s’atteler à cette tâche : réduire ses déchets, être moins dépendant de la voiture, adopter un comportement de “sobriété heureuse”, ... Ce que nous avons eu envie de faire, c’est d’aider les gens à se réapproprier les connaissances et les compétences liées à leur alimentation et à la nature qui les entoure.

Tout le monde connaît le fonctionnement d’un smartphone, mais on est moins nombreux à savoir comment faire pousser les carottes qu’on mange à l’apéro, ou quelles sont les plantes comestibles qui poussent à l’état sauvage dans notre jardin. 

Hiver 2020Dans chaque jardin dont on accompagne et soutien les propriétaires, la biodiversité et la fonction nourricière sont renforcés après notre départ. On cherche à créer des petites poches de résilience partout où on passe, à notre petite échelle. 

Le lien social est indispensable pour créer une véritable résilience, comment favorisez-vous ce lien?

Effectivement, le lien social est la pierre angulaire d’une véritable résilience. 

Nous avons cherché à travailler ce lien à travers nos “docus-papote”. Le principe est de faire se rencontrer les voisins d’une rue (ou d’un quartier, à l’échelle micro-locale) une fois par mois au domicile de l’un d’entre eux, pour visionner des documentaires traitant de l’environnement et d’alimentation durable, puis de discuter de ces thématiques. Les voisins apportent un petit quelque chose à manger, en mode auberge espagnole. 

Encore une fois, notre but ici est de proposer une formule et d’aider les gens à la faire exister et à se l’approprier. Nous mettons le matériel à disposition, nous aidons à l’organisation des 4 premières séances et nous y participons en tant que facilitatrices “de secours”, pour nous assurer que le débat se fasse dans de bonnes conditions d’écoute et de respect de l’autre. Après quoi, le groupe “prend son indépendance” et poursuit seul la démarche.Hiver 2020

Vous travaillez sur des projets d’aménagement d’espaces verts et nourriciers, en quoi cela consiste-t-il et qui peut faire appel à vos services?

C’est très large parce qu’on cherche à répondre aux besoins réels des gens qui nous contactent, et pas à leur proposer des formules toutes faites. Certaines personnes nous contactent pour repenser tout ou partie de leur jardin, pour qu’il soit plus favorable à la biodiversité. On réalise des plans en fonction de ce qu’ils veulent développer, on leur propose des espèces et des variétés. A d’autres on propose de réaliser le plan de rotation des cultures pour leur futur potager (la hantise de tous débutants!). 

On propose aussi des visites “auxiliaires”. C’est une formule super souple ; on propose de se changer, le temps d’une visite, en auxiliaires de jardin, et d’apporter notre aide là où elle est nécessaire en fonction des besoins ou des difficultés rencontrées. Cela peut être de donner une liste d’espèces adaptées au type de sol pour la réalisation d’une plate-bande, faire un “scan” des installations favorables à la biodiversité déjà présentes et proposer d’autres pistes, montrer comment planter un fruitier, … 

On accompagne aussi les collectivités (crèches, écoles, comités de quartier…) qui souhaitent démarrer un potager ou installer un espace verger. On leur donne une formation, des outils pour pouvoir démarrer, parfois un coup de main à l’installation. 

On entend beaucoup parler d’autonomie depuis quelques années. Autonomie alimentaire, énergétique, etc. Est-elle réellement atteignable?

L’autonomie totale est impossible à atteindre à l’échelle individuelle, en tous cas selon les critères de notre mode de vie européen. On aura toujours besoin de choses qu’on n’est pas capables de produire seuls, même dans le domaine alimentaire.

Hiver 2020L’homme est un animal social, c’est à l’échelle collective que ça se passe. 

L’objectif n’est pas tant d’atteindre l’autonomie mais bien de regagner une forme de contrôle sur ce qu’on mange. Un lien avec la nature, ses cycles, ses besoins, … Faire un potager ça va bien au delà de la simple production alimentaire. C’est le début d’un changement de paradigme, un retour au rythme saisonnier pour lequel on est faits, et une thérapie gratuite qui en plus fait faire des économies sur les courses! 

Quelle a été l’impulsion qui a donné vie à Pleine Terre?

Cela faisait des années qu’on avait le sentiment que la société ne tournait pas très rond. On avait envie de participer à sa transition parce qu’on était convaincues que telle qu’elle fonctionnait aujourd’hui elle n’était pas à même de répondre aux enjeux et aux crises auxquels elle devrait faire face. 

On s’est beaucoup formées de manière autodidacte. C’était difficile de savoir à quel saint se vouer parmi ce flot d’informations contradictoires. Dès qu’on touche au vivant, rien n’est simple : il n’y a pas de jamais, pas de toujours, aucune règle absolue. On a décidé de faciliter cette démarche pour les gens : tout le monde n’a pas le temps de réaliser ce parcours du combattant pour lancer un potager ou savoir quoi planter dans son jardin. C’est comme ça que le projet a vu le jour. 

Hiver 2020Comment voyez-vous évoluer l’asbl dans un futur proche ? Vers quel idéal tendez-vous?

On a beaucoup d’idées mais on essaye de laisser les choses venir et les nouveaux projets se développer au gré des occasions. 

Parmi les projets qui nous tiennent le plus à coeur, on voudrait trouver un terrain à Bruxelles sur lequel poser nos valises et nous développer. Actuellement nos activités se donnent à différents endroits, parfois hors de Bruxelles et on sait que pour beaucoup de bruxellois le train est une limite mentale infranchissable! L’idéal pour nous serait de développer des partenariats avec les administrations qui nous permettent d’offrir des accompagnements et des activités gratuitement. On y travaille!


 

Illustrations: Sarah Cheveau