Le Chaudron, entre partage et savoir-faire

Dans la rubrique 24H, nous invitons des producteurs du Réseau des GASAP Bruxellois à partager avec nous leur quotidien à l'aide d'un appareil photo jetable.


Cé, Delphine et Swen sont maraiche.ères au Champ du Chaudron depuis trois, cinq et six ans. C’est sur leur terrain, entouré par leurs courges et leurs outils, que je les ai rencontré.es afin qu’iels me parlent de leur projet.

Pouvez-vous vous présenter et m’expliquer comment vous êtes arrivé.es sur ce terrain ?

Nous sommes ne sommes pas issu.es du milieu maraîcher. Nous avons réalisé des études en art ou en journalisme. Cé a étudié l’herboristerie à l’EFP et la tisanerie auprès de Christie, des Herbes de Bruxelles. Avec pour projet initial de faire de la tisanerie avec trois autres personnes sur le champ, s’oriente maintenant vers du maraîchage. Concernant son démarrage dans le projet, le Champ du Chaudron souhaitait développer de la tisanerie et Cé cherchait un endroit où exercer avec ses ami.es : cela s’est fait par convergence de besoins, et par bouche à oreille.

Delphine avait monté une ferme avec des ami.es en Famenne, après avoir vécu de petits boulots, et elle a tout appris du maraîchage sur le tas. Pour elle, ce métier n’était pas une vocation. Elle est arrivée au Champ du Chaudron après un burn-out , et y a été employée comme maraîchère.

Comment est né et a évolué le projet du Champ du Chaudron ?

Le terrain sur lequel on est a été mis à disposition par Bruxelles Environnement il y a six ans, sans doute dans le cadre d’un appel à projet. C’est Swen qui a remporté cet appel à projet, avec d’autres personnes impliquées à l’époque dans le projet, et iels ont dans la foulée constitué un collectif de 5-6 personnes. Dans l’idée, iels voulaient mettre en place une dynamique collective et participative dès le début, et développer toutes les étapes du cycle de l’alimentation, ainsi que divers activités y correspondant : brasser des bières, réaliser des animations autour des activités du champ… Au départ, il y avait trois volets au projet : cuisiner, animer et cultiver. Le projet a évolué puisqu’à l’heure actuelle il n’y a plus du tout de cuisine, et le pôle animation ne sera plus tenu. Faute de financements, on a donc fortement limité les activités pour lesquelles nous ne sommes pas rémunéré.es (pédagogique, sociale, d’inclusivité, écologique, diversité des techniques agricoles…). On s’est beaucoup recentré sur le maraîchage et on accueille quand même chaque mercredi un groupe de l’asbl Nos Oignons, qui œuvre en partie - mais pas seulement - avec des personnes « que la vie a amené à fréquenter des services actifs en matière de santé mentale, addiction et aide sociale ». Ce qui est chouette, c’est que ce sont des personnes qui reviennent, et n’importe qui peut participer à ces actions avec Nos Oignons. On propose également un catalogue d’animation, à la demande.

Quel rapport entretenez-vous avec votre terrain ?

L’endroit où on travaille est splendide. On est à trois quart d’heure du centre de Bruxelles, et pourtant on est en pleine campagne : les champs nous entourent. On a conscience que c’est super, et on a également envie de partager avec d’autres cet accès à la campagne. Mais cette envie nous fait nous poser des questions : il faut trouver l’équilibre entre le fait de devoir vivre du travail de maraîcher et le désir de vouloir partager des moments avec d’autres, tout en se préservant. Ce questionnement est toujours un travail en cours.

D’ailleurs, une majorité des bénévoles qui nous aident le font car venir ici leur fait du bien. Pour nous qui considérons cet endroit comme notre lieu de travail, on ne voit pas toujours le côté poétique du champ. On n’a pas forcément le temps d’y flâner, on est sur le terrain qu’il vente, pleuve ou neige… on n’a pas forcément le même regard que des bénévoles ou des gens qui sont de passage ponctuellement. Cependant, ce n’est pas grave si ce regard n’est pas positif tous les jours : ça nous arrive également de trouver beaucoup de sens dans notre travail et d’avoir une vision bien plus bienveillante de ce que l’on réalise ici. On réalise pas mal d’actions locales pour maintenir le lieu et sa biodiversité : a on des haies, du bois mort, une petite forêt-jardin, une mare… également, on travaille la terre sans machine et on utilise aucun pesticide. On cherche à entretenir la beauté du lieu, et la biodiversité qui pourrait y vivre, surtout avec la proximité des étangs du Neerpede.

De quelle manière réussissez-vous à dégager un revenu ?

Au début des activités du champ, on était financé par des subsides, notamment pour les activités pédagogiques qui ne pouvaient pas être rentables. Aujourd’hui, on a décidé d’arrêter de répondre aux appels à projets car ils ne constituent pas une source de revenus fixe, nous fragilisent trop et nous mettaient dans des situations où on passait plus de temps à justifier les activités qu’on menait qu’à les réaliser.

Aujourd’hui, la majeure partie de nos revenus vient de la vente des paniers de légumes sous forme d’abonnement. Cette année, on a réussi à avoir une soixantaine d’abonnements. Également, une ferme va ouvrir à côté du champ l’année prochaine. Elle comprendra un restaurant, peut-être une épicerie et une conserverie dans lesquels on pourra éventuellement vendre nos légumes.

A côté de ça, on est également rémunéré lors de l’accueil des groupes du mercredi. Sinon, notre objectif est de faire reconnaître le travail social que l’on fournit comme du travail, ce qui n’est pas le cas actuellement : on aimerait être rémunéré.es pour cela. On attend de nous et des gens comme nous de réaliser des animations gratuitement, ou en échange de quelques heures de bénévolat. Même si le maraîchage est un travail très manuel, il n’est pas nécessairement à la portée de tout le monde, et on ne peut pas se retrouver à faire de l’accueil de groupe plutôt que de récolter nos légumes : ça nous mettrait en difficulté d’un point de vue de la rentabilité.

Le travail social nous tient à cœur, mais on n’a malheureusement pas de réel soutien structurel pour l’effectuer.

Quelles sont les contraintes à gérer ce projet à plusieurs ?

C’est apaisant d’être plusieurs, ça nous soulage au niveau de la charge de travail, de la charge mentale, etc. Quand ça se passe bien c’est super ! Dans le passé, on a quand même fait face à des conflits qui se sont cristallisés, et on n’était pas du tout préparé.es à cela. Après, ça nous a tout de même permis de grandir et réfléchir. Aujourd’hui, on travaille en collectif avec un ensemble de personnes ayant des statuts et des enjeux différents (salariés, volontaires, bénéficiaires…), ce qui nous demande constamment de faire preuve de réflexion et de communication. On fonctionne selon un système horizontal et non vertical, ce qui est quelque chose où tout le monde peut trouver sa place mais sur lequel il faut se former, travailler, expérimenter et être clair, car ce fonctionnement peut parfois flouter les responsabilités et les enjeux de chacun. A titre de comparaison, dans un système vertical, certes la hiérarchie peut être remise en question, mais d’un autre côté elle est claire. Dans notre mode de fonctionnement, il y a tellement de choses à prendre en considération qu’il ne faut pas s’y lancer sans être un minimum préparé.e. Cela ne s’improvise pas, et ce sont les plus grosses contraintes auxquelles on doive faire face, d’un point du vue humain.

Quels conseils pourriez-vous donner à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans le maraîchage ?

Parmi les erreurs auxquelles faire attention, il ne faut pas se surestimer sur sa capacité à travailler en collectif. Il faut penser à énormément de choses en amont, se former sur un panel de sujets, se faire accompagner dès le début du projet, et ne pas sous-estimer l’investissement financier et émotionnel qui doit être réalisé. Il faut prendre conscience qu’on aura la tête dans le guidon à un moment donné, et qu’il faut donc bien penser à tout, avant de se lancer. Également, il est nécessaire d’accepter qu’il n’est pas possible de tout faire tout seul, et que ce n’est pas grave. Il faut être attentif à ses limites, s’écouter, et faire attention à ce que notre projet ne prenne pas toute la place. Il est important de garder du lien, de ne pas s’isoler, de rester bienveillant envers soi-même. Il faut faire attention au discours idéalisé et romantisé du maraîchage, qui ne correspond pas à la réalité : être maraîcher est difficile. Cependant, toutes ces contraintes n’enlèvent pas le beau que l’on retrouve dans le travail, et il faut aussi réussir à toujours garder cette beauté là en vue.

Quelles sont vos motivations pour continuer ce métier ?

On se raccroche au moment où tout cela fait sens : il nous arrive régulièrement de repartir du champ en nous sentant très bien car c’était une bonne journée, c’était beau, on a récolté des légumes qui ont bien poussé, on a passé un très chouette moment avec l’équipe… Ces instants font beaucoup de bien et aident à tenir lorsque la motivation est plus compliquée à trouver. Malgré tout, il n’y a pas vraiment d’autre travail dans lequel on trouverait autant de sens.C’est un luxe d’avoir un métier dans lequel s’investir est aussi source de sens.

Une autre source de motivation, c’est que le travail qu’on réalise est très concret. Le monde dans lequel on évolue est complexe, il faut penser à tout un tas de choses en permanence : dans le maraîchage, il n’y a pas trop de question à se poser, les choses doivent juste être faites. Il y a un temps pour chaque chose et il y a une dimension très concrète qui fait beaucoup de bien.

Enfin, on est fie.ères de faire ce métier, car il est passionnant à beaucoup de niveaux : d’un point de vue politique ou militant comme d’un point de vue technique, il y a énormément de choses à discuter, de connaissances à avoir et de curiosité à entretenir.

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