Le travail de notre prochaine artiste du mois nous a captivé par l'expressivité de son trait et le sentiment de bonheur qui dégage ses créations. Qu'il s'agisse d'illustrer des articles pour la presse, les murs de la ville ou des espaces théâtraux, KARO PAUWELS cherche toujours à transmettre des sensations subtiles qui emparent ses sujets de prédilections: la nature et le vivant. Nous sommes ravies de vous présenter l'univers de Karo.
Quel est ton processus de création ?
C’est assez simple en fait. Soit « ça sort », soit pas.
Mais en y réfléchissant de plus près, je m’aperçois que je passe par plusieurs étapes. D’abord la vision. C’est l’étape première, essentielle. Que ce soit pour une commande, ou un projet perso, tout commence d’abord par une vision. En échangeant avec mes clien.te.s ou collaborateurices, j’ai très rapidement une image du projet finalisé qui me vient à l’esprit. Comme si un projecteur imprimait une image derrière mes yeux. Qu’il s’agisse d’un livre finalisé, d’une peinture, ou d’une scénographie.
Cette vision constitue ensuite un fil rouge tout au long du processus, même si je peux m’en écarter en fonction du contexte et des apports extérieurs. Mais c’est un guide, un garde-fou.
L’expérience m’a appris que si l’image ne vient pas spontanément, c’est que c’est mal barré (rires) … et peut-être qu’il vaut mieux ne pas aller plus avant dans ce projet. En fait, je fais partie de ces artistes qui se considèrent comme de simples passeurs. Réellement, et je le ressens très fort lorsque je travaille sur des grands formats. Je rentre alors dans une sorte de méditation, en tous cas une forme d’attention soutenue, où j’ai la sensation de n’être plus que l’outil de quelque chose de plus grand que moi. Quelque chose qui me dépasse et que je transmets par mon instrument : pinceau, marqueur ou crayon. Idéalement dans le plus grand calme, mais aussi, souvent, avec des écouteurs sur les oreilles qui me permettent d’être hyper concentrée et dans ma bulle.
J’aime cette idée que l’artiste n’est pas l’alpha et l’oméga de son art, que son égo ne fait pas tout, mais qu’il est juste un canal qui capte certaines choses, subtiles, et les traduit, à sa manière, pour les partager à ses contemporains.
Comment trouves-tu l’inspiration dans ton quotidien ?
Globalement, de deux manières en fait. D’une part, via une nourriture intellectuelle et créative que je cultive plus ou moins régulièrement : les livres d’abord. Je suis plongée dans la littérature anglo-saxonne depuis quelques temps : une littérature des grands espaces extérieurs et intérieurs et dont j’aime beaucoup le style très ouvert et brut : Jean Hegland, Siri Husvedt, Nancy Huston, Rick Bass,… ou encore Jim Harrison, et Steinbeck évidemment que j’ai relu récemment. Et puis les podcasts. Je suis une grande consommatrice de podcasts. J’en écoute presque quotidiennement, en travaillant, en cuisinant, en conduisant, … En fait, j’ai fait le choix il y a plus de 10 ans de ne plus avoir la télévision et de ne plus suivre les infos quotidiennes (TV, radio, applis,…) pour favoriser une information plus « slow » et moins anxiogène et cela me convient très bien. Je m’informe donc sur le monde via des podcasts littéraires, artistiques, sociologiques, … peut-être avec quelques jours de retard par rapport à mes amis qui suivent l’actu au jour le jour, mais, pour être honnête, ça ne me dérange pas du tout. Ce que je préfère par-dessus tout, ce sont les podcasts naturalistes : les histoires d’aventures en plein air, les vies d’explorateurices, et les histoires liées au Vivant. Ça me passionne et ça nourrit clairement ma pratique. Mon grand rêve c’est d’accompagner un jour une mission scientifique en tant qu’artiste, en mer ou sur terre. J’y travaille
Ma deuxième source d’inspiration - et probablement la plus efficace - c’est la Nature et la pratique du yoga – qui ont toutes deux en commun de cultiver une forme de silence, d’apaisement du mental et d’intériorité. C’est un peu cliché car très « tendance » c’est vrai, mais ça me va. Il n’y a pas mieux selon moi qu’une balade en forêt pour m’apaiser et m’ouvrir à de nouvelles idées. La marche permet cela. Le yoga aussi. Par le travail des postures, mais aussi de la respiration/méditation et la lecture des textes philosophiques anciens comme les yoga sutras, je parviens parfois à m’extraire de mes pensées claires-obscures en pagaille (je suis une personne très angoissée et perfectionniste de base et à ouvrir la porte de l’inspiration. C’est en effet à ce moments-là que mes visions et mes meilleures idées me tombent littéralement dessus. Il vaut mieux alors avoir un carnet et un crayon sous la main pour les écrire vite et ne pas les oublier
Enfin, et c’est très important aussi, je trouve l’inspiration dans les échanges avec les autres : mon associée, Julie Robeet au sein de notre studio de graphisme et de communication visuelle CABANE où l’on travaille activement à développer un projet pro en phase avec la transition écologique et sociale, nos co-worker.euse.s au Centre Dansaert, mes co-auteurices sur les projets de livres, mes amis, ma fille, … bref mon réseau pro et perso. Même si le travail d’artiste, et en particulier de dessinatrice, est assez solitaire, les collaborations sont essentielles et m’apportent énormément. Et puis j’adore parler, échanger et prendre des cafés avec toutes ces personnes. C’est souvent là qu’on imagine ensemble, les meilleurs projets de livre, de design graphique, ou encore de spectacle.
Quels sont tes projets alternatifs bruxellois coup de cœur ?
Je ne suis pas forcément la meilleure placée pour cela, parce qu’entre mon rôle de maman, mon travail qui occupe beaucoup de mon temps, les moments de silence et de repos que je me force à prendre (pour ma santé mentale ;-), je ne suis plus du tout à la page sur la vie bruxelloise alternative (rires). Heureusement, je fréquente des personnes brillantes qui le sont et qui me partagent leurs bons plans ;-). Cela dit, il y a 2 projets qui me touchent beaucoup actuellement : « Cerf Blanc » , un service funéraire alternatif - encore très rare dans ce domaine - et qui entend redonner de l’humanité, de la beauté et de la positivité à la fin de vie. Derrière ce projet, se cache Kate Houben, ancienne graphiste rencontrée il y a 15 ans quand je bossais dans la culture, et qui a assuré cette reconversion professionnelle étonnante et tellement nécessaire. Toute personne sensible qui a connu la mort de près, sait comme il est urgent que notre société évolue aussi dans ce domaine-là pour remettre l’humain, la poésie et le rite au cœur de nos habitudes. J’ai justement participé hier soir à un des événements qu’elle propose, un « café mortel » et c’était super intéressant, touchant et éclairant. Car la place que l’on donne à la mort et à son récit en dit long sur notre rapport à la Vie il me semble …
Le second projet, c’est ma cantine de boulot, tout simplement : Groot Eiland à Moolenbeek . Plus qu’une « cantine » en fait puisqu’il s’agit d’un projet de ferme urbaine, de resto social, de travail du bois et un magasin bio en vrac accessible financièrement comparé à d’autres enseignes du bio. Les gens qui bossent là sont merveilleux, et le resto excellent. On y trouve les meilleurs chicons au gratin de la ville !
Photos: Karo Pauwels