Peintre cueilleuse, c'est ainsi que se présente Isabelle Rousseau dans son magnifique atelier à Drogenbos. Les plantes sauvages des bords de routes lui ont fait découvrir un univers extraordinaire, celui des couleurs végétales. Elle transforme une grande variété de plantes tinctoriales en peintures végétales et propose également des ateliers pour apprendre un savoir-faire qui se perd au détriment des vibrations des couleurs. Elle nous parle des plantes sauvages qui lui ont permis de recréer des liens avec son environnement proche. Entretien.
Comment as-tu commencé à travailler la couleur végétale ?
Vraiment par hasard, comme toujours dans les belles histoires. J'ai eu la chance de rencontrer un compagnon qui habitait à la campagne, à Braine-le-Château, dans un environnement très sain, très nature, où il y a zéro pesticide depuis très longtemps. C'était vraiment l'endroit rêvé en bordure de forêt et c’est comme ça que je me suis retrouvée reconnectée à un environnement végétal.
Comme je suis gourmande je me suis très vite intéressée aux plantes sauvages comestibles et grâce aux magnifiques bouquins de François Couplan, qui est une référence en la matière, j'ai commencé à me former petit à petit. Par extension, je me suis intéressée aux fleurs comestibles et puis, encore par hasard, j’ai trouvé dans un livre une section sur les plantes tinctoriales et je me suis rendue compte que je connaissais ces plantes et que je les avais repérées pour la plupart. Donc je me suis mise à les ramasser, à chercher de l'info sur chacune d'elles et à expérimenter. Je voyais que ça marchait et je n’ai plus jamais arrêté. Ça fait quatre ans.
Pendant une bonne période, j'ai consacré tout mon temps à l’expérimentation et par après j'ai suivi des stages, je me suis beaucoup formée. Aujourd'hui je connais déjà pas mal de plantes, surtout celles qui concernent la fabrication de peintures. Après, de ces mêmes plantes on peut aussi fabriquer de la teinture, mais la teinture ce n'est pas mon univers.
Quelle est la différence entre la teinture et la peinture?
La différence c’est le procédé de fabrication. Ce sont les mêmes plantes, mais les recettes sont autres donc la manière dont on va transformer la plante est différente.
En plus du temps de conservation, quelle est la différence entre un pigment industriel et un pigment végétal ?
Depuis 1880 les molécules colorantes ont été synthétisées par des chimistes et donc à partir de ce moment-là on a commencé à perdre la culture de plantes tinctoriales et l’utilisation de recettes. C'est clair que les couleurs chimiques sont beaucoup plus solides, mais par contre on a perdu en richesse des teintes et en subtilité. En fait, dans une substance colorante végétale il y a entre cinq et vingt-cinq molécules colorantes différentes. Et donc quand on fait une couleur avec une plante on obtient plein de teintes qui vont donner une variation, une vibration à la couleur alors que quand on utilise un pigment synthétique on n’en a qu’une. Ça ne vibre pas. C'est presque de l'ordre de l'émotion.
Une même recette t’apporte-t-elle toujours le même résultat ou bien y a-t-il toujours une part de surprise?
C'est très empirique... Autrefois les maîtres teinturiers devaient noter les recettes au minime détail, ils devaient être très précis pour réussir à avoir les mêmes couleurs de manière un peu systématique. Mais il faut savoir qu’il y a deux grandes catégories de plantes tinctoriales: celles qui vont donner des couleurs grandes teintes, très solides à la lumière du soleil et au lavage, et celles qui vont donner des petites teintes, qui ont une plus petite résistance. Un troisième groupe serait les plantes comme les mûres, le cassis, les baies, etc, avec lesquelles on peut teindre mais ça ne tiendra pas longtemps ni à la lumière ni au lavage. Donc en général, les maîtres teinturiers utilisaient des plantes dont la couleur est très solide à la lumière et au lavage. C’est comme ça qu’on a des vêtements qui datent du temps des pharaons. Evidemment, ils ont été protégés de la lumière mais c'est quand même remarquable.
Viens je te montre les plantes que j’ai sur la terrasse…
Est-ce qu’il y a une plante qui pourrait nous surprendre par les couleurs qu’on arrive à lui extraire?
Par exemple on serait étonné de savoir qu’on peut extraire une grande teinture de la tanaisie, qui est une plante sauvage qui pousse partout, même en ville le long des routes. Elle donne une couleur jaune super solide, magnifique. Elle sent très fort, on ne peut pas se tromper, on la reconnaît tout de suite. On a aussi l'armoise, l'achillée millefeuille qui donnent des couleurs formidables. La solidage, qui est aussi une plante sauvage qu'on retrouve partout qui fait de grandes fleurs jaunes. Une autre plante que j’ai dans mon jardin et qui est très intéressante c'est l'Isatis tinctoria. La première année elle fait des feuilles et une tige, et là-dedans il y a de l'indigo! J'ai un petit champ où je cultive des plantes comestibles et de l'indigo. C'est la plante qu'on a cultivé en Europe pendant très longtemps jusqu’à la découverte de l'indigotier.
Qu’est ce qui distingue l’indigo des autres couleurs végétales?
L'indigo est spéciale comme couleur parce qu’elle n'existe pas. Il y a des molécules à l’intérieur de cette plante qui sont des précurseurs de l'indigo, mais c'est par oxydation à l’oxygène que la couleur bleu apparaît. Au départ il y a un jus jaune-vert et c'est seulement en l’oxydant que le bleu apparaît. Donc, si tu fais une teinture d'un tissu, au début il ne sera pas bleu mais il sortira jaune-vert et au fur et à mesure il deviendra bleu. C'est ça la magie de l'indigo, c'est exceptionnel. Et puis c'est vrai que l'extraction de l'indigo est difficile parce qu'il faut jouer avec les ph, c'est souvent une question de ph pour les teintures. Michel Garcia, qui est un grand spécialiste de la couleur végétale en France, a donné quelques recettes, il les a simplifiées, et avec celles-ci on arrive à extraire de l'indigo avec l'isatis tinctoria. J'ai réussi l’année dernière et du coup cette année j’ai mon premier indigo. Cette année j'en ai mis plus sur le champ pour pouvoir en récolter plus et le montrer à mes élèves.
Comment t’est venue l’envie de donner des ateliers?
J'aime bien l'idée de transmettre, c'est tellement exceptionnel. On n’imagine pas qu'on peut obtenir des couleurs bleues avec l’Isatis tinctoria par exemple. J'ai une formation d'animatrice et j'ai très vite commencé à crer des événements et des stages. Même si ma motivation première était de fabriquer des couleurs, de les transformer et aussi de découvrir de nouvelles choses.
Quels sont tes prochains projets ?
Je viens d'acquérir une très belle caravane qui date des années soixante que je compte transformer en « mallette pédagogique ». Elle va me servir d'une part à aller sur des événements, comme ceux que je fais déjà maintenant comme le festival des plantes à Waterloo, celui à Lasnes, de Villers-la-Ville, etc. Lors de ces événements qui tournent autour de l’environnement, j'ai toujours un stand pédagogique où je montre toutes les possibilités que les plantes sauvages nous offrent. Je donne des infos mais j'essaie aussi d'attirer l'oeil, j'ai des plantes dans des petits pots et je vends des produits. L'idée est que cette caravane va me servir aussi à aller chez les gens qui ne peuvent pas se déplacer à Bruxelles pour pouvoir donner des ateliers partout ailleurs. Et finalement je voudrais m'installer au Portugal, là où il fait chaud pour créer un jardin pédagogique autour des plantes tinctoriales et comestibles. Donc avant de trouver l'endroit, j'ai comme projet de me promener un peu avec ma caravane et aller à la rencontre de toutes les autres personnes qui font un peu tout ça. À partir de la mi-octobre je compte partir avec ma caravane et descendre progressivement vers le Portugal et sur le chemin donner des workshops et rencontrer des autres professionnels de plantes sauvages. Tu veux que je te la montre?
Oh oui!
Photos : Agustina Peluffo