Jardiner le monde

Jardiner le monde c’est le programme que Pauline Gillard a imaginé mettre en place au sein de l’école d’art de Belfort, dans l’est de la France. Des étudiants, à priori plus intéressés par l'histoire du design que par les différentes méthodes de compostage, se retrouvent les mains dans la terre à réfléchir à leur(s) avenir(s).
Ce programme novateur, qui intègre le vivant dans sa recherche plastique, nous a séduites et nous avons voulu en savoir un peu plus.


 

Pourrais-tu te présenter brièvement et expliquer comment ton parcours t’a amené à penser le programme Les Jardins suspendus?

 

Le programme Jardiner le monde existe depuis quatre ans au sein de l’école d’art de Belfort et il consiste en la proposition d’ateliers autour d’une culture liée au vivant et à la pratique d’un jardin. 

Je suis à l’initiative de ce nouveau dispositif pédagogique en milieu artistique, avec l’appui de l'équipe enseignante. Il est né suite à de nombreux échanges informels avec le directeur de l’école, Jean-Marie Boizeau, sur les questions liées aux changements climatiques. Enfin, je suis autodidacte, j’ai toujours travaillé pour de nombreuses structures d’art contemporain, puis j’ai découvert l’agroécologie et les débats intellectuels autour de l’agriculture de demain. Et c’est à travers cette dernière expérience professionnelle, que j’ai pû découvrir un domaine qui m’a ouvert le champ des humanités écologiques, qui a été et est toujours un vrai stimulant intellectuel pour rendre fertile ma propre éco-anxiété!

En quoi consiste ce programme? 

Ce programme repose sur la proposition d’un nouveau contenu pédagogique autour d’une introduction à une autre philosophie du vivant, à partir de la pratique d’un jardin écologique. Ce jardin est adossé au bâtiment de l’école, c’est un site très ancien que l’on appelle “ouvrage à corne”, c’est-à-dire une fortification de l’architecture militaire, pensée par le marquis de Vauban, un architecte du XVIe siècle, qui préserve dans ses hauteurs 1200m2 de végétation : un jardin suspendu en cœur de ville, érigé et transformé pendant des siècles à des fins militaires. 

Les ateliers que nous proposons s’inscrivent dans le parcours de l’étudiant et donnent lieu à des crédits. L’objectif se centre autour de la recherche de l’autonomie en acquérant des outils comme celui du jardinage et en croisant la botanique et la philosophie avec les étudiants. Concrètement, deux temporalités au fil des saisons structurent les ateliers : des temps théoriques, autour des questions et des savoirs que pose la philosophie dans ses relations à la botanique, et des temps pratiques, qui s’articulent autour du vivant en général (semis, plantation, bouturage, cueillette, préparations culinaires…)

Pourquoi l’avoir créé au sein d’une école d’art?

Je l’ai créé au sein d’une école d’art, car nous avons eu envie avec Jean-Marie Boizeau d’ouvrir la question de l’enseignement artistique aux différentes problématiques qui nous habitent. Et plus nous creusons le sujet, plus nous nous rendons compte que pour aborder de nombreux problèmes contemporains, nous avons besoin de changer de paradigmes culturels.

Nous espérons que proposer l’apprentissage d’un autre rapport au vivant ouvre à l’écriture d’une possible culture nouvelle, à même d’être utilisée, peut-être, par de futurs artistes, créateurs et amateurs d’arts plastiques.

Quels sont les enjeux et défis auxquels les élèves sont confrontés pendant leur formation? Quelle(s) idée(s) faut-il construire/déconstruire?

Les enjeux contemporains sont bien connus et cernés par les étudiants, ce nouveau contenu pédagogique semble leur être plus évident, contrairement à certaines catégories de personnes plus âgées.

La question de ce nouveau régime climatique, l’Anthropocène, nous pousse tous et toutes à nous questionner sur comment produire de l’art aujourd’hui, quelle peut être une vie d’artiste aujourd’hui ? J’aborde le jardin dans ses usages transversaux d’ouverture vers plus d’autonomie au quotidien mais également comme une possibilité de développer sa créativité dans un sens étendu.

Le jardin peut être une matrice pour produire de l’art (de par ses matériaux, ses sujets, ce qui le compose, ...) mais aussi pour penser sa vie d’artiste d’un point de vue, pourquoi pas, différent (pouvoir vivre à la campagne et être artiste, par exemple).

De plus, de nombreuses conceptions sont en train d’être questionnées et (enfin) remises en cause, héritage de nombreuses divisions opérées par notre culture européenne : nature/ culture, cœur/ cerveau, corps/ raison… par une multitude de philosophes, sociologues, ou encore botanistes dont les lectures et partages sont des plus réjouissantes !

 

Quel(s) conseil(s) pourrais-tu donner aux étudiants qui souhaiteraient intégrer une approche écologique dans leur travail/leur approche/... ?

Je n’ai pas de conseils à transmettre car grâce à mon travail, mes rencontres avec ces jeunes adultes me réjouissent : ils/elles sont bien plus aguerris que je ne l’étais au même âge… ils/elles osent et n’ont pas peur d’expérimenter !

 Pauline Gillard, enseignante

Les jardins suspendus de l’École d’art de Belfort

Programme d’écologie appliquée dans le champ de l’enseignement artistique


 

Illustrations: Thibault Gallet