Design for Resilience: réinventer les objets du quotidien sans nuire au vivant

On y pense rarement, nous pouvons appliquer au textile les mêmes réflexions que pour notre alimentation en termes d’impact environnemental. Derrière chaque matériau, il y a des matières premières, de l’énergie, des savoir-faire et du temps. Utilisant le chanvre et le lin, deux plantes résilientes aux qualités environnementales indéniables, pour créer des objets du quotidien, Design for resilience, porté par Vanessa Colignon, a la volonté de faire renaître, perdurer et évoluer des savoir-faire textiles sans nuire au vivant. Entretien.


 

Tu utilises le lin et le chanvre comme matériaux pour créer des éponges et gants de nettoyage, pourquoi les as-tu sélectionnés et quelles sont leurs propriétés?

Je travaille avec le chanvre pour les éponges vaisselle, car c’est une fibre très solide et parce que c’est une plante dont on pourrait relocaliser la production et la transformation. C’est par exemple une plante qui résiste aux agressions extérieures car elle est anti-fongique et répulsive: les insectes ne s’en approchent pas et les exploitants agricoles n’ont pas besoin d’utiliser de pesticides. Elle pousse aussi tellement vite qu’il n’y a pas besoin de mettre de désherbant au sol pour la culture qui suit, généralement du blé, car le chanvre étouffe les adventices. Cela a donc un impact tant sur la qualité de l’air que sur nos nappes phréatiques qui sont polluées par les exploitations agricoles. Aussi, c’est une matière qui ne génère pas de déchets, chaque partie peut être utilisée, et ses graines sont d’ailleurs comestibles. Le lin partage ces mêmes caractéristiques. On l’utilise en isolation et construction, alimentation, médecine, textile. 

Outre, leur intérêt environnemental, le lin et le chanvre sont des matières:

  • anti-bactérienne, les odeurs se forment beaucoup moins vite qu’avec du coton ou du synthétique, 
  • qui respirent,
  • thermorégulatrices (en été elles rafraîchissent et en hiver elles protègent du froid),
  • qui isolent aussi très bien des fortes températures. Par exemple, j’utilise mon gant de vaisselle comme manique pour sortir des plats à 250°C, pas besoin d’isolant synthétique ou plastique. 

En quoi le design peut-il nous aider à être plus résilient ?

Ce qui me semble important dans le design, c’est de pouvoir tester nos produits auprès du public et d’en faire des objets réellement pratiques et faciles d’utilisation, sans quoi quel est l’intérêt de faire des choses qui ne servent à rien et polluent inutilement ?

On peut aussi réinventer les codes et réfléchir à comment utiliser le moins de matériaux possibles d’une part pour limiter la pression exercée par l’humain sur l’environnement et d’autre part pour limiter les coûts. Tout est possible.

Et évidemment il est important que le design soit utilitaire ou pratique à utiliser. Pour être résilient, il faut que les objets durent, qu’ils fonctionnent bien, qu’ils servent. Il faut également sourcer chaque élément, mais aussi faire attention à ce que tout le monde soit bien traité tout au long de la chaîne de production, et ça ne doit pas se limiter à des promesses sur un site web.

Les micro-plastiques forment ce qu’on appelle une pollution discrète. Comment se forment ces micro-plastiques et surtout comment pouvons-nous réduire cette pollution en tant que citoyen.ne.s?

Il y a d’une part les micro-plastiques et d’autre part les micro-fibres qui font également des micro-plastiques. Les microplastiques proviennent majoritairement des déchets que nous produisons et qui se sont retrouvés, de manière involontaire ou volontaire, dans les milieux aquatiques. En se heurtant les uns contre les autres, ou sur les pierres des rivières ou avec l’agitation des courants, ceux-ci s’effritent pour devenir de plus en plus petits. C’est problématique car ceux-ci se retrouvent ingérés par la faune aquatique et ornithologique qui quand elle n’en meurt pas se retrouve ensuite dans notre propre chaîne alimentaire et évidemment dans nos organes vitaux. D’autre part, en se dégradant, les plastiques libèrent de nombreux composés, dont des perturbateurs endocriniens qui nuisent à la fertilité des poissons, mollusques et crustacés, mais perturbent aussi leur comportement.

Les microfibres quant à elles proviennent de nos vêtements, objets, chaussures, linge de maison à base de fibres synthétiques. Lorsque qu’on les utilise ou que l’on les lave, ceux-ci libèrent des microfibres dans l’air et dans l’eau.

Les microfibres sont tellement fines, que 5 à 10% parviennent à passer les filtres des stations d’épuration et se retrouvent directement dans les cours d’eau.

Ce qu’il ne faut pas perdre de vue c’est que les 90-95 % restant finissent soit dans les boues des stations d’épuration qui sont ensuite épandues sur les champs pour les fertiliser… et donc se retrouve dans la nature également soit dans des décharges souvent à ciel ouvert ou encore incinérées. 

En tant que citoyens, le meilleur moyen à mes yeux d’éviter la propagation des microplastiques c’est de refuser les plastiques quand ils ne sont pas nécessaires, mais également les bioplastique ou viscoses. Biosourcés, ne veut pas dire biodégradable. Coluche ne disait-il pas « Quand on pense, qu’il suffirait que les gens arrêtent de les acheter pour que ça ne se vende plus ! Quelle misère… »

Pour le textile, c’est pareil, dans la plupart des cas on peut éviter la consommation de produits contenant du plastique. Préférer des matières antibactériennes et anti-odeur comme le lin, le chanvre ou la laine. Favoriser un maximum des pièces 100% naturelles. Ce n’est pas parce qu’un vêtement indique 100% naturel que ses coutures et ses étiquettes le sont. Actuellement Design For Resilience est pratiquement le seul à avoir des produits 100% biodégradable, coutures et étiquettes comprises.

Un des meilleurs gestes pour moi serait de bannir les vestes en polaire en commençant par ne plus en acheter.

Ce qu’il faut bien comprendre avec le recyclage des bouteilles plastique en PET (à usage unique) et autres plastiques, c’est que c’est une fausse bonne idée de les recycler en quelque chose qui va aller dans l’eau par la suite ou que l’on va beaucoup manipuler.

C’est le même problème avec les tawashis, on coupe dans des vieilles chaussettes contenant des fibres synthétiques usées. Ensuite on les coupe en ruban, donc on coupe les fils synthétiques, puis on va les frotter dans l’eau. En fait, cette alternative zéro déchet contribue à répandre des microplastiques dans l’eau, c’est didactique, mais pas zéro-déchet du tout. 

En résumé, il ne faut porter des vêtements techniques que si c’est obligatoire et les laver avec un programme court et ne dépassant pas 30°C, pour répandre le moins de microplastique possible dans l’environnement. 

Tu travailles avec la dernière bonneterie de Wallonie, qu’est-ce que leur savoir-faire apporte à tes créations?

Tout. En termes de viabilité commerciale, ça me permet de vendre au public mes produits 10 à 15 fois moins cher que si je les faisais à la main. Si on veut avoir un impact environnemental, le tricotage industriel nous permet de produire de plus grandes quantités à un prix plus abordable, ça nous permettra à terme de toucher plus de gens et donc d’avoir un réel impact sur l’environnement en réduisant l’usage de matériaux synthétiques.

En terme technique, on peut vraiment innover et on a un système de production qui nous permet de faire 10 à 15 fois moins de déchets qu’un atelier de confection conventionnel, soit moins de 1 % de déchets. Toutes les matières premières qu’on achète se retrouvent donc dans nos produits, on ne les gaspille pas. Nos fils perdus viennent de bobines issues d’entreprises qui ont fait faillite.

Mon producteur à une bonne connaissance du marché, il est dans le secteur depuis plus de 30 ans. Il réfléchit tout le temps à ses prix et à des techniques pour les baisser, cela sans en impacter les conditions de travail de ses employés. C’est important car il faut bien garder en tête qu’en Belgique, la main-d’œuvre coûte 0,65€ la minute quand dans certains pays elle en coûte 2 € la journée. Malheureusement les consommateurs sont parfois déconnectés de ces réalités et ne comprennent pas toujours les prix des productions locales. 

Comment vois-tu évoluer Design for Résilience dans un futur proche ? Vers quel idéal tend ce projet?

Haaa ! Beaucoup de choses en fait !  Sur le court terme, j’aimerais rapidement revenir au vêtement, mais pas que. Ce que je voudrais, c’est d’une part améliorer notre confort de vie en termes de vêtement et d’objet, nous reconnecter à la nature, comme je l’expliquais plus tôt, tout en ayant des attentes en termes d’éthique et de confection élevées.

Ce que j’aimerais atteindre par rapport à mes produits actuels, c’est intégrer un système de distribution en accord avec mes valeurs qui me permettra d’avoir un prix plus accessible. Car si on vend plus, on pourra d’une part améliorer nos prix et d’autre part engager une personne qui gèrerait la partie commerciale. Je suis avant tout une créative et c’est difficilement combinable avec les ventes, les démarches administratives, la communication, etc.  Donc pour y arriver, je vais bientôt lancer une campagne de crowfunding parce que je fais dans le zéro-déchet, mais aussi dans le zéro budget et ça me ralentit.  Il y a des produits qui sont prêts que je ne peux pas lancer. Produire en Belgique a un coût considérable et j’aimerai proposer mes idées en précommande pour pouvoir enfin les développer !

Sur le long terme, j’aimerais participer à la relocalisation du lin, de la laine et du chanvre et pourquoi pas, l’ortie un jour.

Mais sans volonté politique et sans débouché de ces secteurs, ça va prendre 10 à 20 ans. Il y a bien-sûr des tests en cours, mais on est encore loin de pouvoir rivaliser avec les filatures en Europe de l’Est et en Asie en termes de qualité. Et surtout cela va avoir un coût conséquent et il est nécessaire de sensibiliser les consommateurs à ce sujet.  Au début, je voulais vraiment recréer une filature, mais j’ai vite compris que je n’y arriverais pas seule, que c’était un métier à part entière et aucun industriel ne me prenait au sérieux. Pourtant maintenant, certains y travaillent.  Collaborer avec mon producteur et remporter le prix WBDM m’ont ouvert des portes et maintenant on me prend plus au sérieux. La prochaine étape maintenant, c’est de prouver qu’il y a un réel potentiel dans la relocalisation de ces matériaux et qu’il y a des clients prêts à consommer nos créations. Mais chaque chose en son temps.


Illustrations: Lison Ferné