Broussailles, l’évidence d’une vocation

Dans la rubrique 24h, nous invitons des personnes contribuant à rendre le système alimentaire plus juste, accessible et écologique, à partager leur quotidien à l'aide d'un appareil photo jetable.


A Tubize, en Wallonie, Thomas a lancé depuis quelques années son projet de tisanerie : Broussailles. Endroit ouvert à tous et à toutes, il vous y accueillera certainement avec une tisane réconfortante aux saveurs complexes, ainsi que ses savoirs botaniques et médicinaux, qui ne demandent qu'à être partagés. Entretien.

Est-ce que tu peux rapidement te présenter ?

Je m’appelle Thomas, j’ai un petit terrain d’environ 4 ares du côté des Saintes, à Tubize, dans lequel je suis installé depuis 2022. Je cultive une quarantaine de plantes aromatiques et médicinales que je sélectionne depuis la graine. Je les sème, les plante, les soigne, les récolte, les déshydrate pour obtenir un produit final sous forme de tisane sèche. Également, je propose depuis 2023 une formation sur neuf mois d’initiation à la tisanerie. J’y encadre un groupe de quelques personnes qui viennent découvrir en détail comment développer et entretenir un jardin médicinal. Je leur enseigne également les propriétés des plantes cultivées, ainsi que les méthodes de récolte et de transformation en tisane, dans l’optique d’atteindre un but de soin précis. Cette formation me permet de faire du lien avec l’humain, et de ne pas être seul dans mon projet. Elle ramène des gens qui se lient autour d’un sujet, qui partagent leurs expériences, et tout cela permet de lutter contre la rudesse de l’isolement, qui est une dimension qu’on retrouve assez souvent dans le domaine de l’agriculture.

Parle-moi de ton parcours antérieur et ce qui t’a mené à la tisanerie.

J’ai toujours voulu être fermier. C’est quelque chose qui est clair pour moi depuis tout petit. Quand je l’ai pu, j’ai commencé des études pour être garde forestier. Je me suis assez vite rendu compte que ça ne me plaisait pas, et c’est après un stage d’une année dans une ferme que j’ai réorienté mes cours vers l’agronomie. Ces études étaient basées sur des grands axes de culture et d’élevage industriels, ce qui ne correspondait pas à mon envie, mais je trouvais tout même intéressant d’apprendre des manières de faire très productivistes pour retourner à quelque chose de bien plus humble. Pendant ces deux années, j’ai visionné un reportage sur une tisanière française, qui était axé sur le côté sensitif de la tisanerie : les odeurs, le toucher, l’observation des plantes y étaient centraux.

Je suis tombé en totale admiration de cette façon de faire, et ça a été mon premier déclic pour me lancer dans le monde de la tisanerie.

Après mes études, je suis venu à Bruxelles pour apprendre le maraîchage. En même temps, je suivais une formation de tisanerie « de terrain » chez Christie, des Herbes de Bruxelles, où j’ai appris à sélectionner les graines, faire pousser les plantes, les soigner, les récolter, et les assembler. C’était une formation complète, qui ne se concentrait pas uniquement sur l’aspect productif de la tisanerie, mais aussi sur ce qu’il y a autour : prendre soin de son terrain, de soi et des autres. Je suivais aussi une formation à l’EFP pour être gestionnaire d’herboristerie, ce qui m’a surtout servi pour appréhender les connaissances théoriques de plantes sur l’organisme. Suite à tout cela, j’ai créé une coopérative à Anderlecht, nommée Radis Kale, dans laquelle j’étais maraîcher jusqu’en 2020. J’ai ensuite bougé de Bruxelles et ai commencé à réfléchir à mon projet Broussailles. Grâce à des rencontres d’amis, j’ai réussi à trouver mon terrain en fin 2021, et j’ai donc lancé mon projet au début de l’année 2022. Tout mon parcours s’est fait dans l’agriculture, c’était clair depuis le début que je voulais faire ça et je pense que je le ferai jusqu’au bout !

Est-ce que tu peux me parler de Broussailles en détail ?

Je pense ce projet depuis 2017, et il s’est étoffé lors mes différentes expériences en tisanerie et maraîchage. J’ai eu accès à mon terrain en 2022 et ai pu lancer Broussailles à ce moment là, en faisant exister le projet au niveau légal. Le champ était en friche au début 2022, j’ai donc créé mes buttes de culture, et y ai semé des plantes pérennes et annuelles. J’avais envie d’avoir un signe qui indiquerait à toute personne qu’elle est la bienvenue sur mon champ : alors j’ai crée mes buttes pour qu’elle représentent un arc-en-ciel !

Ma première année était intense et assez pauvre en termes de production, car je m’y suis pris un peu tard dans la saison : les premières fleurs sont arrivées en juillet-août. J’ai travaillé selon mes envies du moment et j’ai quand-même réussi à faire quelques tisanes à ce moment là. En 2023, j’ai plus produit et j’ai lancé en parallèle mon premier cycle de formation, autour de l’initiation à la tisanerie. Cette année, en 2024, je reprends la production avec quelques buttes en plus, et je continue la formation. J’en suis déjà à ma troisième année sur le terrain !

Cependant, je réfléchis déjà à la suite et mon projet serait, dans l’absolu, d’avoir une ferme à plusieurs avec divers pôles : maraîchage, tisanerie, petit élevage pour l’aspect pédagogique, et formation pour les métiers liés à la paysannerie. Je veux garder la tisanerie et la transmission, car ce sont les deux aspects du métier de tisanier qui me motivent le plus. J’ai conscience qu’un projet comme celui-là demande de grandes compétences professionnelles, relationnelles, de communication, etc., mais ça peut être une expérience humaine très intéressante.

Qu’est-ce qui te fait le plus vibrer dans ton projet, et pourquoi ?

Pour synthétiser, c’est la créativité autour du projet. Selon moi, elle s’exprime à travers différents axes : j’adore réfléchir à la manière dont je pourrais améliorer ma manière de travailler, à comment tirer des leçons des expériences passées pour optimiser la charge de travail. La manière de subvenir financièrement à l’activité passe aussi par le fait de se réinventer, ce n’est pas aussi simple que « je plante, je récolte, je vends ».

J’adore le volet formation, les rencontres que cela créé et le partage qu’elles engendrent. Cela m’intéresse peu d’offrir un cours en ayant une posture magistrale ; ce qui me plaît beaucoup, c’est qu’un groupe se retrouve autour d’un prétexte qu’est la tisanerie et partage ses retours d’expériences. Ce sont des moments où on se connecte les uns aux autres, où on dialogue, car on a tous une histoire liant le végétal à une personnalité familiale.

Au final, ce sont les plantes qui nous rassemblent.

Enfin, je prends énormément plaisir à observer les ballets minuscules qui prennent place dans le champ. L’œil est accroché par un détail sur une fleur, par un insecte qui grimpe sur une plante, par la danse des pétales dans le vent. Ce sont des instants si poétiques à côté desquels il est facile de passer, et qui sont pourtant constamment présents sous nos yeux. J’aime appréhender mon terrain via un axe plus sensible, plus poétique. Je trouve également que ces expériences rendent humble et remettent l’humain à sa juste place : comme faisant partie intégrante de la nature. Au final, ce qui me fait vibrer c’est que je peux écouter qui je suis en profondeur, je peux faire vivre mon enfant intérieur et ressentir des émotions très fortes grâce à mon activité. C’est aussi l’idée de m’approprier un lieu pour en faire un havre qui correspond à ma sensibilité et ma façon de faire, et de pouvoir y accueillir des personnes avec amour, sincérité et dans un cadre très sain et sécurisé.

A quoi correspond une bonne tisane pour toi ?

A part une tisane industrielle réalisée sans respect de la terre, de la plante, de l’humain qui cultive ou de l’humain qui boit, je pense qu’il n’y a pas de mauvaise tisane. Une bonne tisane est faite avec de l’amour et de la passion, et je pense que ce sont deux critères qui font beaucoup. Quand on est dans l’amour de la plante, qu’on la rencontre, qu’on la sent, qu’on la touche… on créé des référentiels et on apprend à associer différentes variétés entre elles. On teste des mélanges, et on approfondie donc sa propre sensibilité vis-à-vis de ces plantes qui nous entourent.

Personnellement, je fais aussi des tisanes pour les autres et pas uniquement pour moi. Une bonne tisane pour l’autre, c’est une tisane grâce à laquelle la personne comprend le fil rouge de la vie de la plante, et retrouve en plus des sensation organoleptiques intéressantes. Une bonne tisane, c’est comprendre et faire comprendre la plante. Cela va clairement au-delà du goût, même si celui-ci reste important !

Est-ce que tu as un.e modèle de pensée, d’action… qui guide la réalisation de ton projet ?

Je n’ai pas d’inspiration très précise, il s’agit plutôt de petits morceaux piochés à droite à gauche et assemblés entre eux pour créer un tout cohérent par rapport à mon projet. Ce que j’aime bien, c’est l’axe spirituel autour des plantes les plus symboliques, comme le druidisme ou la sorcellerie. Je ne veux pas que mon activité soit réduite à « je produis des plantes et je fais des tisanes », je veux au contraire qu’elle s’inscrive dans un cadre plus complet. Je veux me connecter avec mes plantes, les rencontrer, savoir d’où elles viennent, comprendre leur(s) nom(s)… dès qu’on commence à décortiquer tout cela, on se retrouve face à des histoires mythologiques, et anciennes. C’est aussi ce côté païen de la tisanerie qui m’attire.

Une des inspirations qui me guide est d’essayer de m’intégrer, et d’intégrer mon activité au niveau paysager dans le champs. C’est ce que prône Eric Lenoir, dans son traité du jardin punk, à travers un travail réduit de son terrain. Cette année par exemple, je me suis dit que j’allais désherber un minimum : c’est déjà un gain de temps et un allègement de la charge mentale, mais également une manière de mieux respecter mon terrain et la vie qui l’habite. Je me rapproche de l’équilibre qui conciliera mon activité avec l’espace sur lequel elle s’inscrit.

Quel regard et quels espoirs poses-tu sur les projets de paysannerie en Belgique ?

Je ne sais pas si on peut sauver la planète avec la paysannerie, mais je pense qu’il est important qu’on existe. Nos structures font du sens dans les villages et les villes, il est indispensable d’avoir des pôles de paysans un peu partout. Parce que notre présence permet d’entretenir plusieurs choses : tout d’abord le rapport à la terre, et les savoirs qui en découlent : comment est-ce qu’on cultive ? Avec quelles techniques, quels moyens, quelles innovations ? Et puis le rapport à l’humilité, qui nous permet de savoir où se positionner en tant qu’humains dans le monde.

Ces pôles sont indispensables pour maintenir une transmission de savoir qui se perdraient sans eux. Car on dirait bien que ce n’est pas avec de l’agriculture intensive, qui déconnecte les consommateurs de la terre, qu’on arrivera quelque part.

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