Vous l’avez probablement rencontré à Bruxelles, mais sans forcément le remarquer, ce logo qui mélange des poissons et des feuilles, celui de “BIGH”. Nous avons été invitées par cette ferme urbaine en aquaponie à visiter leur espace et à poser toutes nos questions. Par un beau vendredi venteux, nous voici au-dessus de la foule du marché des Abattoirs d’Anderlecht. Tour d’horizon d’un concept intriguant et d’un endroit atypique.
BIGH, c’est quoi?
BIGH veut dire « building integrated green house”, soit “serre intégrée dans une construction”. Le surnom de BIGH est “la ferme urbaine”, parce que son but est de ramener la production alimentaire destinée aux urbains dans la ville. Donc il y a une partie en aquaponie (que nous verrons plus bas en détails) et une partie de potagers urbains plus “classiques”, le tout sur 1000 m² du toit des abattoirs de Bruxelles, à Anderlecht. Ce qui en fait la plus grande ferme urbaine sur toit d’Europe. Installée courant 2017, elle a lancé la production en aquaponie en 2018.
Tout d’abord, qu’est ce que l’aquaponie?
L’aquaponie est l’association d’une culture végétale et piscicole, soit faire pousser ensemble des plantes comestibles et des poissons, et faire profiter l’une de l’autre (et réciproquement).
Comment ça se passe concrètement?
Concrètement, on utilise les déchets de l’eau des poissons comme engrais dans la culture des plantes. Mais il ne suffit pas de remplir son arrosoir à l’aquarium pour ce faire, non, entre les deux interviennent des bactéries qui transforment l’ammoniac (mauvais pour les plantes) des déjections des poissons en nitrates (bons pour les plantes).
Nous avons donc un aquarium, avec des poissons (qui sont destinés à être consommés), l’eau “sale” de l’aquarium passe dans des bacs où ces bactéries transforment l’ammoniac en nitrates, et l’eau maintenant “riche” sert à irriguer les plantes (destinées également à la consommation) qui poussent à côté et qui filtrent avec leurs racines l’eau “propre” qui va retourner dans le bassin des poissons. Magique! Et si on veut pousser encore plus loin la boucle, les poissons sont nourris à base de farine d’insectes, qui à terme peuvent aussi être élevés sur place, et nourris avec les branches des plantes de la ferme. La boucle est bouclée.
Magique, enfin presque, car c’est un fragile équilibre qu’il faut surveiller et maintenir. BIGH a donc mis un système en place avec des capteurs et des ordinateurs qui testent, vérifient et optimisent la température de l’eau des poissons, son pH, la quantité de lumière dans les serres, etc. C’est très technique, et ça n’a plus grand chose à voir avec les radis qu’on fait pousser sur son balcon (même avec l’eau du poisson rouge).
Un circuit (presque) fermé : des plantes + des poissons + des bactéries + de la technologie
D’un autre coté, cette technologie veut dire qu’il faut être réglo tout du long: comme l’eau des poissons sert à irriguer les plantes, il est impossible de leur ajouter des médicaments ou des produits chimiques ou artificiels pour les nourrir et les soigner. Et comme cette eau est ensuite récupérée pour la reverser dans les bassins de pisciculture, on ne peut pas traiter aux insecticides les plantes non plus. Il faut donc trouver des parades : les poissons subissent une quarantaine à leur arrivée à la ferme, pour vérifier qu’ils n’apportent pas de maladie, et sont soigneusement monitorés tout au long de leur vie dans les bassins. Quant aux plantes en hydroponie*, elles sont surveillées par des insectes pollinisateurs et/ou prédateurs des parasites naturels (coccinelles et bourdons entre autres).
C’est un petit milieu très sélect, ne rentre pas qui veut. D’ailleurs en tant que visiteurs on est restés dans le couloir qui fait le tour des serres, sans pouvoir tremper nos doigts dans les bassins des poissons.
Malgré ces conditions (ou à cause?) l’aquaponie en Belgique ne peut pas être certifiée bio, malgré l’impossibilité d’utiliser des produits chimiques pour les cultures.
* l’hydroponie c’est la culture hors sol, sur des petits tapis de laine de roche, et donc sans terre.
L’aquaponie dans le monde
L’aquaponie n’est pas nouvelle, visiblement cela fait un moment qu’elle existe : d’après wikipedia, les Aztèques utilisaient des méthodes similaires. Et à Bruxelles cela fait déjà plusieurs années que des asbl peuvent vous aider à mettre en place des systèmes d’aquaponie à petite échelle chez vous ou dans votre entreprise. Mais cela fait seulement quelques années qu’on envisage l’aquaponie comme moyen de nourrir des populations à grande échelle, à l’intérieur des villes. Les premiers succès et inspirations de la ferme urbaine sont canadiens, avec les Lufa farms de Montréal. Les projets se multiplient en Europe également, avec plus ou moins de succès.
Mais pourquoi une ferme urbaine à Bruxelles?
La structure gouvernementale bruxelloise GoodFood se demandait en 2016 comment optimiser les espaces dans la ville pour ramener la production alimentaire auprès des consommateurs (de plus en plus urbains). Le concepteur de BIGH, l’architecte belge Steven Beckers, a participé à cette réflexion et le groupe de travail a dénombré environ 60 hectares de toits qui permettraient d’accueillir des installations de culture urbaine. Et au même moment, le marché des Abattoirs était en train de se rénover et cherchait des projets pour réduire son empreinte carbone et occuper son toit. Le lien s’est fait naturellement, et le projet a démarré.
Très bien, et au final, BIGH permet-elle de nourrir les habitants?
Et bien oui, BIGH produit bel et bien des fruits, des légumes, des herbes aromatiques et des poissons. Mais vous ne les trouverez pas encore partout : les herbes aromatiques sont les plus faciles à se procurer, elles sont disponibles dans différents supermarchés et épiceries, et les légumes et le poisson d’eau douce sont vendus sur place ou bien à des restaurateurs et des épiceries fines. Les coûts de production et d’investissement sont plus hauts que des productions classiques, et donc, malgré un transport quasi nul, les délicieuses tomates ou le poisson ultra frais (pêché en fonction des commandes) seront plus chers que les tomates ou le poisson qu’on trouvera un étage plus bas.
Des visites sont organisées régulièrement, vous pouvez vous y inscrire via le site internet et découvrir par vous-même ce lieu bruxellois encore insolite. C’est aussi l’occasion de visiter une autre ferme urbaine, ECLO, dans les sous-sols du même bâtiment.
D’autres initiatives d’aquaponie existent à Bruxelles, plus modestes, plus artisanales, et des structures peuvent également vous aider à mettre en place des cultures en aquaponie chez vous ou dans votre entreprise. Vous trouverez quelques sources d’inspiration chez AquaponieBxl asbl.
Illustrations: Louise Doumeng