Absinthe, voyage au pays de la fée verte

ABSINTHE - Voyage au pays de la fée verte. Un livre de Tania Brasseur, photographies de Tamara Berger, éditions Helvetiq, 2023

Continuons à remplir les étagères de notre bibliothèque virtuelle dédiée à des ouvrages qui célèbrent la nature et tout ce qui la compose! Cette semaine, focus sur un livre tout vert publié en 2023 aux éditions Helvetiq, Absinthe, voyage au pays de la fée verte, qui nous emmène sur des sentiers brumeux découvrir l'histoire de ce breuvage.


Connaissez-vous l’Absinthe, Artemisia absinthium? Plante, boisson, fée, sa réputation sulfureuse est (presque) à la hauteur de son amertume. Membre de la très solaire famille des Astéracées, qui compte parmi ses membres le Pissenlit, le Calendula ou la Pâquerette, l’Absinthe se situe du côté lunaire de cette tribu. Ses feuilles vert-gris, presque argentées, semblent avoir absorbé les rayons de la Lune et lui confèrent une présence froide, somme toute peu rassurante. 

Grande plante médicinale, aux vertus apéritives, digestives, vermifuges, toniques et emménagogues, l’Absinthe est peu utilisée en phytothérapie moderne. En cause, sa forte amertume et sa teneur en thuyone, une molécule contenue dans son huile essentielle qui peut être neurotoxique à certaines doses. Mais elle n’est pas tombée dans l’oubli pour autant. Les marocains, qui lui donnent le doux nom de Chiba, l’infusent volontiers dans leurs théières lorsque la Menthe vient à manquer. Plante alliée des jardiniers, sa forte odeur repousse les insectes indésirables du potager, notamment les piérides, les altises ou les pucerons. Enfin, en teinture végétale, elle donne des teintes allant du gris bronze au vert olive, selon le mordant utilisé.

L’Absinthe a surtout bâti sa réputation grâce à la boisson alcoolisée du même nom. Ce breuvage quasi mythique, qui a failli surpasser le vin, a rencontré un succès rapide dans les différentes strates de la société dès le 18e siècle. La plante s’inscrit dans un paysage, un folklore, une tradition qui a un pied de chaque côté de la frontière franco-suisse, entre le canton de Neuchâtel et la Franche-Comté, dans des régions boisées, montagneuses, bien vertes. L’Absinthe appartient au genre Artemisia, une tribu de plantes sous le patronage d’Artémis, la déesse de la chasse, de la vie sauvage et de la Lune. Ses proches cousines sont l’Armoise commune, Artemisia vulgaris, l’Armoise annuelle, Artemisia annua, l’Estragon, Artemisia dracunculus ou encore les Génépis, qui servent également à aromatiser un alcool qui porte leur nom.

 

Dans Absinthe, voyage au pays de la fée verte, Tania Brasseur se lance dans une enquête qui retrace l’histoire de cette boisson. Sillonnant entre Suisse et France, dans les forêts, les distilleries, les musées, elle narre avec brio cette saga qui démarre à la fin du 18e siècle, dans le petit village de Couvet, en Suisse. D’après plusieurs sources, dame Henriot, une guérisseuse chevronnée qui soigne sa clientèle à l’aide de remèdes médicinaux, met au point la première recette d’Absinthe, obtenue par macération. Elle s’en servait pour soigner diverses maladies, ce qui n’est pas étonnant vu les nombreuses propriétés de la plante. Cette préparation serait peu à peu sortie de son cadre médical et aurait conquis une autre clientèle. Malgré ce qu’indique son nom, l’Absinthe que l’on boit est un mélange, aux proportions secrètes et propres à chaque distillateur, de plusieurs plantes aromatiques, dont - évidemment -  l’Absinthe, la petite Absinthe (Artemisia pontica), l’Hysope, la Mélisse, la Menthe ou encore, selon les recettes, le Fenouil, l’Angélique, l’Anis vert, la Réglisse ou la Coriandre. La recette aurait été améliorée pour satisfaire les palais les plus subtils jusqu’à devenir, en 1797 environ, une boisson assez intéressante pour qu’un négociant, major Dubied, en acquière la formule et la commercialise officiellement. Tania Brasseur déroule le fil de cette histoire jalonnée de personnages hauts en couleurs, vivant dans des lieux aux noms étranges. Faisant des incursions dans le présent, le passé, elle nous fait partager ses dégustations d’Absinthe, dans des lieux et des atmosphères très différentes. Car, malgré son interdiction de 1910 à 2001, l’Absinthe n’a jamais cessé d’être distillée, bue et appréciée. Pendant la période de prohibition, les habitants de la région du Val-de-Travers savaient où s’approvisionner : sur les sentiers forestiers, à proximité des sources d’eau, se trouvait une bouteille clandestine bien cachée. Ce secret bien gardé a permis à la fée verte de continuer à répandre sa magie. À côté de la bouteille, une petite tirelire permettait de payer sa consommation. Aujourd'hui, les tenanciers de ces bars au grand air ont ajouté un QR code pour les étourdis qui ont oublié leur porte-monnaie (mais pas leur Smartphone…).

Convoquant l’histoire coloniale, l'histoire de l’art et de la littérature, partant à la rencontre de cultivateurs, de distillateurs, d’Artémisophiles et de conservateurs de musées, Tania Brasseur nous fait découvrir le monde passionnant de cette fée devenue sorcière, que l’on a accusé de tous les maux et de tous les vices. 

Ce livre de 223 pages, qui se lit comme un roman, est par ailleurs magnifiquement illustré par les photographies de Tamara Berger et les dessins d’Ajša Vera Dorothy Zdravković. Vous y apprendrez tout sur l’Absinthe, rencontrerez ses amis et ses ennemis, découvrirez les péripéties qui font son histoire, apprendrez comment la servir dans les règles de l’art et même à la cuisiner. De quoi nous donner envie de sillonner sans tarder ces sentiers jurassiens, partir à la chasse aux bouteilles plus si clandestines, sans oublier de remplir la tirelire. En sirotant un verre de cette étrange boisson dans un cadre idyllique, on pourra espérer rencontrer, parmi les mousses, les sources et les résineux, l’esprit de la fée verte. 


Photos © Tamara Berger