Se lier aux plantes pour se reconnecter à soi


Dans la rubrique 24H, nous invitons des producteurs du Réseau des GASAP Bruxellois à partager avec nous leur quotidien à l'aide d'un appareil photo jetable.


Christie est tisanière à Neder-Over-Heembeek, où elle produit des plantes aromatiques et médicinales sur son petit terrain de 3 ares. Entre rencontres, savoirs de sorcières et rythmes naturels, elle nous en raconte plus sur son projet, les Herbes de Bruxelles.

Depuis combien de temps es-tu tisanière, et comment l’es-tu devenue ?

C’est la dixième année que je fais ça. J’ai fait un burn-out il y a onze ans, puis j’ai étudié le maraîchage classique, orienté sur les légumes. J’ai fait mon stage sur le terrain du Début des Haricots, où j’ai flashé sur l’équipe et le terrain. Je leur ai demandé un morceau de terrain car j’avais envie de développer le côté plantes médicinales et aromatiques , et ils me l’ont accordé. J’étais la première à le faire sur une petite surface à Bruxelles, et il y a tout de suite eu un grand engouement. C’était quand-même assez dur, et je me suis tourné vers les formations, dans le but de recréer du lien social.

Les plantes sont un bon médium pour recréer du lien entre nous, humains, et c’est par là que je veux aller, c’est ce qui me porte.

Avais-tu déjà une sensibilité avec la nature, les plantes médicinales… ?

Mon arrière-grand-mère russe était rebouteuse, et connaissait donc très bien les plantes, leurs vertus, etc. Certaines de ces connaissances ont été transmises à ma mère qui m’indiquait lors de nos promenades ce que je pouvais manger, ou non. Mais lorsque j’ai voulu me lancer toute seule, je me suis heurté à mon manque de connaissances. J’ai tout étudié toute seule après ma formation, j’ai expérimenté et j’ai tout appris sur le tas. Cependant, j’ai toujours été connectée à la nature. Elle m’a toujours apaisée, réconfortée, rassurée. Elle constitue mon endroit de bien-être mental, je ressens avec elle un sentiment d’échange qui me fait me sentir bien.

Que faisais-tu avant d’être tisanière, et quel a été le déclic ?

J’étais secrétaire médicale et j’ai travaillé dans une chambre des commerces sur l’avenue Louise. Je ne me rendais pas compte de l’énorme distance que cette vie créait, par rapport à qui j’étais réellement. Cela m’a d’ailleurs menée en burn-out. Je me rends compte avec le recul qu’il m’a été nécessaire pour me diriger vers quelque chose que j’aimais vraiment. J’ai vraiment pris le temps de me demander où j’en étais, de comprendre mon état physique et mental, et de me remettre en question. Ça a quelque part été la chance de ma vie, afin de me réinventer, de me réaliser et de tendre vers qui j’étais réellement, vers le bonheur.

Tu fais également des formations. Peux-tu nous en parler, nous expliquer ce qu’elles t’apportent ?

Les gens en repartent en étant plus heureux qu’à l’arrivée, et en cela ces formations m’apportent beaucoup de bonheur. J’y trouve un vrai sens, car j’ai le sentiment d’aider des personnes à se reconnecter à elles-mêmes. Il y a d’ailleurs quelque chose d’assez frappant, c’est que les gens qui viennent se former changent systématiquement de vie au cours de l’année. Cela peut se manifester par un changement professionnel, un départ en voyage… ils se réalisaient plus pleinement. Je pense que plus on se rapproche de la nature et on apprend à l’écouter, plus on apprend à s’écouter soi-même. Car ce rapprochement implique de se reconnecter à son corps et à ses sens : il devient impossible de nier ce qu’il y a à l’intérieur de soi. Je vois ces formations comme des thérapies pour initier les gens à se connecter à l’extérieur et en eux-même. Ça se fait d’une manière magique… je n’en ai pas l’explication, mais cela se passe. Ces formations revêtent pour moi une forme de thérapie également. Elles me permettent de me reconnecter aux autres et de m’entourer de groupes très bienveillants. Elles modifient également mon rapport aux femmes, qui est de prime abord un rapport de méfiance. Et depuis que je fais ces formations, je ne rencontre que des femmes extraordinaires : ça en a complètement changé ma vision.

As-tu une inspiration particulière dont tu aimerais parler ?

Aujourd’hui, toutes les femmes que j’ai rencontrées m’inspirent. C’est une inspiration générale. Si je dois vraiment choisir, ce serait des femmes révolutionnaires comme Blandine Sankara, les femmes zapatistes, ou encore les femmes du mouvement des sans terres, au Brésil. J’ai rencontré ces dernières, et elles m’inspirent de par leurs luttes : elles sont menacées de mort car elles se battent pour un pays, pour l’autonomie d’un peuple… Pour moi, elles sont incroyables et me permettent aussi de continuer mon travail parce qu’elles me font relativiser. Je me dis que je ne peux pas me plaindre ou lâcher l’affaire car elles continuent leurs luttes, parfois au péril de leur vie.

Que peux-tu me dire sur ton rapport à ton terrain ?

Avant tout, ce terrain est un endroit où je ne suis pas sur la défensive, c’est un cadre sécurisé où chacun a le droit d’exprimer sa bienveillance et d’être une bonne personne. Mon rapport à mon terrain et mon activité a justement été la source d’une grande réflexion dernièrement. Au début de mon activité, je me disais qu’il fallait désherber, contrôler, que chaque plante avait sa place. Je me suis interrogé là-dessus, particulièrement cette année, et j’ai décidé d’accueillir les végétaux qui s’invitent sur le terrain. J’ai aussi beaucoup questionné mon rapport à la plante : est-ce que je les cultive pour le plaisir d’avoir des plantes, ou pour les exploiter ? Je trouvais plus juste de les récolter selon un rythme moins intensif, car je suis avant tout tisanière pour être en contact avec elles. J’essaie de mettre de plus en plus de fleurs pour les insectes, de revoir mon rapport à la plante, et je me dis qu’à terme, cet endroit finira comme un refuge à but pédagogique pour faire des animations et sensibiliser à l’écologie.

Pour moi, mon terrain et mon activité représentent aussi une forme de révolution. C’est de la militance contre le système. Ils permettent d’offrir de l’autonomie aux gens et de les rendre plus indépendants d’un point de vue médical. C’est aussi une lutte sociale car je peux redonner de l’importance à des femmes invisibilisées. De par des animations dans les CPAS, je rencontre des personnes provenant d’un peu partout dans le monde avec des connaissances sur les plantes. Je suis systématiquement transportée et j’apprends beaucoup à leurs côtés, car leur savoir est oral et ne se trouve donc pas dans les livres. Rencontrer ces femmes, c’est leur redonner leur importance et celle de leurs savoirs, leur redonner un pouvoir. Mon activité représente donc une forme de militance à plusieurs niveaux, tous imbriqués les uns dans les autres.

 

Est-ce que tu aurais des conseils pour quelqu’un qui voudrait s’installer en tant que tisanier.e ?

J’aurais aimé qu’on me dise qu’il faut s'adapter au milieu, et non le contraindre. Il est important de ne pas le modifier, car cela ne marche pas. Cela va avec une certaine humilité, qu’il faut avoir ou retrouver : l’être humain doit retrouver sa place et ne doit pas adopter une posture de conquérant. C’est parfois compliqué, parce que la tisanerie constitue quand même un fond de commerce et qu’on nous apprend depuis toujours à devoir tout contrôler, rentabiliser, désherber… comme s’il fallait avoir une mainmise sur la nature. En agronomie, on nous apprend qu’on sera dépassé si on n’a pas le contrôle sur cette dernière. En tisanerie, c’est tout le contraire.

Apprendre à avoir un lien avec ses plantes, à les respecter et à comprendre leur fonctionnement, permet de prospérer. Il faut accepter de lâcher prise, et d’emprunter les chemins que la nature nous offre.

Commencer son activité de tisanier.e avec l’idée de faire beaucoup d’argent amène au contrôle, à une forme de fermeture d’esprit et souvent à l’échec de l’entreprise. On ne peut pas contrôler la pluie, les inondations, la sécheresse, la germination ou non… C’est aussi pour cela que j’ai voulu apprendre aux gens à cultiver et à avoir un lien avec les plantes, parce c’est douloureux de ne pas lâcher rapidement prise.

Quelles sont tes motivations pour continuer ?

C’est le bonheur. Honnêtement, tous les ans je souhaite arrêter. Vers Octobre, Novembre, j’en ai marre. Puis l’hiver arrive, je suis beaucoup plus présente en ville car je reste plus chez moi. Doucement, je commence alors à penser à mon terrain, aux plantes, j’ouvre un livre qui me montre une nouvelle variété que j’ai envie de cultiver. Et d’un coup, la joie et l’envie reviennent. Pour moi, je perpétue un cycle constant et tout à fait normal : je commence pleine d’énergie au printemps, je donne tout lors de l’été, j’en ai un peu puis totalement marre en automne et en hiver. Ensuite, je me repose, et tout revient. J’accepte le fait que mon activité ne représente pas une joie permanente pendant un an, que je suis traversée par une multitude d’émotions et que je ne pourrais pas vivre sans celles-ci. Et c’est correct de vouloir arrêter tous les ans, il n’y a pas de mal à cela. Encore une fois, il faut accepter les émotions qui nous traversent.

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