Les champignons du printemps

Davide Cascino arpente les bois en quête de trésors. Ces pépites se cachent sous nos pieds et voyagent dans les airs, elles se révèlent aux yeux de tous·tes les curieux·euses et enchantent le palais des plus averti·es. Enfilons nos bottes, ouvrons grand nos mirettes et poussons la porte de ce royaume foisonnant : celui des champignons.
Suivons le guide !


I. PETITE INTRODUCTION À LA MYCOLOGIE

Davide, tu es mycophile, selon tes propres mots, c’est-à-dire un amateur de champignons. Tu partages ta passion aussi bien sur les réseaux sociaux que sur les chemins forestiers. Est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’est un champignon ?

Pour faire simple, le champignon que nous cueillons dans les bois ou que nous achetons au magasin n’est que l’organe reproducteur que nous consommons ! Les mycologues appellent cela « mycète », bien que le mot « champignon » soit courant également. Mais le vrai champignon se trouve dans le sol, sous forme de très fines racines entremêlées que l’on nomme « hyphes ». Les hyphes forment le mycélium, le vrai corps du champignon.

Les champignons se déclinent en trois grands groupes : les saprophytes, les parasites et les symbiotiques. Tandis que les saprophytes décomposent le bois mort, les parasites s’attaquent au bois vivant au point d’entraîner parfois la mort de leur hôte. Les symbiotiques misent quant à eux sur la coopération et nouent des liens intimes avec les arbres : ils échangent minéraux et eaux contre des sucres. Cette association symbiotique, la mycorhize, s’établit par la fusion du mycélium et des racines.

D’où te vient cet attrait pour la mycologie ?

C’est grâce à un vieil ami que tout a commencé, j’avais plus ou moins vingt ans quand il a voulu m’initier aux champignons. C’était la première fois que je mettais les pieds dans un bosquet pour aller à la rencontre de ce drôle de monde, dont je ne connaissais absolument rien.

Un jour, après quelques gros orages d’été, nous sommes partis, panier à la main, à la fameuse cueillette de différents comestibles. Un monde bien plus fantastique que ce que présentaient les livres était sorti de terre : me voici devant tout un cortège de formes et de couleurs ! Comestibles, ou non, autant vous dire que j’ai été « mordu ».

Depuis, grâce à cette magnifique rencontre et cette première escapade aux champignons comestibles, qui m’a ouvert les portes de ce monde alors inconnu, j’ai sillonné de nombreux bois et forêts belges, à la recherche d’émerveillements, et avec l’envie persistante de découvrir et d’en apprendre davantage. Puis se sont ajoutées des sorties mycologiques, ma soif de connaissances allant toujours grandissant. J’ai alors poursuivi mon apprentissage en suivant une formation guide-nature aux Cercles des Naturalistes de Belgique.

Quel est l’un de tes champignons préférés ?

Je vais dire la girolle, Cantharellus cibarius. Sa couleur jaune soutenue qui ne passe pas inaperçue et son agréable parfum caractéristique ­– je ne vais pas faire d’allusions à quoi que ce soit, chacun ayant sa propre mémoire olfactive – ont de quoi séduire. Puis, c’est un champignon bien charnu, jamais véreux, et qui passe bien dans tous les plats ! Et pour finir, cela me rappelle la période des orages estivaux, quand il fait bien chaud et qu’on attend plus qu’une seule chose : que quelques grosses pluies viennent rafraîchir les températures…

II. PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS

Tu proposes des balades nature sur le thème des champignons. Pourquoi partager tes connaissances sur le sujet ?

Les champignons sont le commencement et l’aboutissement de la vie sur terre. Je trouverais cela dommage de ne pas transmettre cette passion et susciter l’intérêt, afin, peut-être, d’inspirer de futur·es mycologues !

Qu’est-ce qui surprend le plus ton auditoire lors de ces balades ?

Je crois que c’est le fait d’apprendre qu’il y a tant de vie sous « nos pas » qui gère tout ce monde extérieur ! Les champignons assurent les connections du vivant. Ils gèrent les forêts et garantissent la santé des arbres. Ainsi, 90 % des plantes dépendent des champignons : grâce à l’énorme réseau souterrain qu’ils constituent, ils assurent l’apport en nutriments, en sels minéraux et en antibiotiques de tous les végétaux.

Dans quel état d’esprit te trouves-tu lorsque tu pars en exploration dans les bois ?

Un peu comme un enfant qui part à la recherche des œufs de Pâques ! Parfois, selon la saison et les lieux, j’ai des objectifs bien précis : par exemple, trouver des girolles. Ou alors, je pars en observation pour aller voir ce qui va pousser. La première chose qui retient mon attention c’est la mousse. Lorsqu’elle est bien humide et « ouverte », je sais qu’il y a de grandes chances pour que les champignons soient au rendez-vous. Dans tous les cas, chaque balade est une découverte. L’observation du quotidien des champignons permet réellement d’entrer dans leur intimité.

Une cueillette en Belgique ou ailleurs dont tu es particulièrement fier ?

En Belgique il y en a eu beaucoup ! Sinon, en Allemagne, dans la Forêt-Noire, j’étais tombé dans une partie de ce grand bois où s’étaient tapies des girolles. On ne savait plus où mettre les pieds sur des dizaines et des dizaines de mètres carrés !

Où peut-on trouver des champignons à Bruxelles ?

Quand on connaît, on peut en trouver un peu partout. À Bruxelles, pour la cueillette, il vaut mieux se limiter à la partie wallonne de la forêt de Soignes, par exemple. Celle-ci est divisée en trois zones : Brabant flamand et Bruxelles, où le ramassage est totalement interdit, et Brabant wallon.

En forêt de Soignes, j’ai suis tombé sur pas mal de cèpes de bordeaux, et beaucoup d’autres espèces intéressantes, comme des trompettes de la mort. C’est donc un lieu riche qui abrite une grande diversité fongique.

Quelles sont les précautions à prendre lors de la cueillette ?

La première des précautions : ne pas prendre le risque de consommer un champignon qu’on ne connaît pas ou sur lequel on a un doute ! Un bon nombre d’espèces comestibles ont des sosies toxiques. Dans l’idéal, on prend deux paniers : un dans lequel on place les comestibles dont on est sûr et un autre où l’on dispose ceux à faire identifier par une personne compétente, au mieux un mycologue.

Ensuite, il s’agit de bien respecter la quantité de récolte, qui peut varier d’une commune à une autre. De manière générale, il ne faut pas dépasser environ 5 kg par jour et par personne. Il faut également veiller à ne pas se rendre trop tôt sur les lieux de cueillette, et ce afin d’éviter le piétinement excessif. C’est ce qui peut vraiment anéantir une espèce de champignon !

Enfin, on garde à l’esprit que les champignons emmagasinent plus de toxines et polluants que les végétaux. Lorsqu’ils sont consommés en accompagnement et en petite quantité, les risques sont toutefois limités. On évite aussi de les récolter en bord de routes ou dans des zones industrielles.

III. LES CHAMPIGNONS DU PRINTEMPS

Les champignons sont, dans l’imaginaire collectif, associés à l’automne. Y a-t-il des champignons au printemps ?

Évidemment ! Il y en a toute l’année, si on ne cherche pas que les comestibles.

En termes de comestibles, les champignons les plus emblématiques du printemps sont la pézize veinée (Disciotis venosa), la morille blonde (Morchella esculenta), pour ne nommer que celle-là, et le tricholome de la Saint-Georges (Calocybe gambosa).

> La pézize veinée

Surnommée « oreille de cochon », la pézize veinée est un champignon assez plat, en forme d’oreille ou d’assiette, avec des rebords très plissés. Sa particularité : sa chair est « cassante » et dégage une forte odeur de javel qui disparaît à la cuisson. Son goût se rapproche de la morille. Certains livres la décrivent d’ailleurs comme l’ancêtre de la celle-ci.

On peut trouver la pézize veinée n’importe où. Ce n’est pas un champignon symbiotique (elle n’a pas « besoin » d’un arbre), mais un saprophyte : elle pousse dans des endroits humides et dégagés, à proximité des ruisseaux. Elle apparaît en début de printemps et est présente jusqu’à la fin mars.

> La morille blonde

C’est le champignon qu’il faut avoir goûté au moins une fois dans sa vie ! La morille blonde se classe ainsi en deuxième position sur la liste des champignons d’exception, après la truffe. Les fins gourmets la dégustent à toutes les sauces et à tous les plats : ils apprécient sa chair parfumée, sa consistance et son moelleux.

Fait intéressant : la morille blonde est le seul champignon à la fois symbiotique et saprophyte ; on la dit d’ailleurs « saprosymbiotique ». Elle pousse en premier lieu sur des frênes. Si l’arbre avec lequel elle collabore meurt, elle devient saprophyte et se gorge de sa sève. Elle profite de cet apport substantiel pour fructifier et se reproduire.

> Le tricholome de la Saint-Georges

Le tricholome, ou mousseron, est une espèce saprophyte poussant sur humus. C’est un très bon champignon, un peu différent des deux autres. Plutôt charnu, il est plus classique en bouche, comme un champignon de Paris. Il dégage une odeur caractéristique de farine humide (semblable à celle qui émane d’une pâte qu’on travaille) qui disparaît à la cuisson.

Il est très fidèle à ses localisations : quand on trouve un tricholome à un endroit, on peut l’y retrouver pendant toute une vie ! Comme son nom l’indique, ce champignon apparaît vers la fête de la Saint-Georges, célébrée le 23 avril. Cette année, le tricholome, très demandeur en humidité, est sorti plus tôt en raison des fortes pluies consécutives.

Avec le changement climatique, certains champignons font-ils leur apparition plus tôt dans l’année ?

Oui ! Et certaines espèces en sont chamboulées. Mais les champignons sont tout de même les rois de l’adaptation, je pense que la plupart finira par s’adapter. Affaire à suivre…

En plus d’être dotés de grandes facultés d’adaptation, les champignons sont de formidables alliés pour lutter contre la crise environnementale ! Ils peuvent en effet participer à la restauration des milieux et désintégrer certaines substances polluantes telles que les hydrocarbures.

Des projets à venir ? Des balades prévues à l’agenda ?

Oui, beaucoup ! Quelques reportages – si tout va bien – en début d’automne. Des podcasts sur les champignons et bien d’autres choses encore que je vais garder en surprise pour le moment ! Des balades mycologiques mêlant théorie et pratique sont également prévues dans la forêt de Stambruges.

Alors, envie d’en savoir plus ou de programmer une sortie à la demande en forêt ? Retrouvez Davide alias Sporophorus sur ses réseaux ou consultez l’agenda de son site :
https://www.sporophorus.com/

Photos : Davide Cascino
Illustrations : Charlotte Gérard