Ranger, désencombrer, c’est apprendre à se connaître. C’est aussi privilégier des matières durables et y réfléchir à deux fois avant de faire l’achat d’un nouvel objet. Qui ne s’est jamais senti en paix et clairvoyant après une bonne session de rangement? Emilie Pommereau est Home Organiser, elle nous explique ici en quoi consiste son métier et pourquoi organiser son intérieur permet de créer de la place pour ce qui compte vraiment.
En quoi consiste ton projet et quelles sont ses missions?
Je ne sais pas si on peut vraiment parler de projet. Car le métier de “home organiser” existe déjà depuis une vingtaine d’années aux Etats-unis et une petite dizaine d’années en Europe.
J’ai découvert l’existence de ce métier en lisant Marie Kondo (et oui, ça sera dur d’échapper à cette référence!) et tout à coup je me suis rendue compte que je pouvais allier une vocation à une passion: aider les gens à se sentir mieux et organiser et ranger des espaces.
Même si parfois j’utilise le mot «coach» pour expliquer mon métier, je suis très critique sur cette mouvance de développement personnel. Il y a beaucoup de «bla-bla», un peu de psychologie et parfois des trucs ésotériques auxquels je n’accroche pas du tout (j’ai aussi été journaliste scientifique). C’est justement ce que j’ai voulu éviter quand j’ai lancé en 2018 mon activité de home organising «En Place».
On peut se sentir parfois mal dans sa vie, angoissé, perdu, englué, stressé, débordé… Mais il existe des solutions très concrètes qui peuvent aider à se reprendre en main, à sortir la tête de l’eau. Se sentir bien chez soi en est une. Et ce que je propose est très concret. Il y a du désordre, on range et on remet les choses à leur place. C’est un changement qui est tangible, qu’on peut à la fois toucher, observer et ensuite expérimenter au quotidien. Se réveiller tous les matins, dans une chambre cosy et apaisante et prendre son petit déjeuner dans une cuisine bien organisée, ça rend la vie plus légère.
Ma mission c’est donc d’aider les gens à se créer un espace, un environnement qui puisse constituer un refuge, un nid. Un endroit qui leur ressemble, où ils se sentent protégés et où ils peuvent recharger les batteries. Et même si le bordel peut avoir du charme, beaucoup de gens le vivent mal. La première étape est donc de faire de l’ordre autour de soi. Cela permet aussi de se reconnecter à son environnement et de se rendre compte que c’est l’une des choses qu’on peut facilement changer dans sa vie. Et ce changement en entraîne d’autres…
De la même manière qu’on dit que pour être bien avec les autres, il faut être bien avec soi-même, je suis persuadée que pour être bien à l’extérieur (au travail, dans la société en général) il faut pouvoir être bien chez soi.
Qu’aimes-tu particulièrement dans ce travail?
Ce que j’apprécie par dessus tout c’est le côté « satisfying ». Dès que je vois une pile de désordre, je jubile à l’idée de pouvoir tout ranger et contempler le résultat de mon travail. Le rangement est une énorme source de contentement, de satisfaction.
J’aime aussi être en contact avec les gens, les écouter et surtout ce qui a de plus jouissif, leur offrir une solution.
Mon père m’a toujours dit « À chaque problème, il y a une solution ».
C’est une vision très encourageante et optimiste de la vie. Beaucoup de personnes se sentent engluées par leurs problèmes, et cela entraîne une certaine immobilité. Ranger, c’est déplacer, bouger, changer les choses. C’est aussi prendre des décisions. En s’exerçant avec son intérieur, inconsciemment on s’entraîne aussi à prendre des décisions pour les autres champs de la vie. En faisant du rangement on apprend à savoir ce qu’on aime, ce qui est vraiment important, à choisir ce qu’on ne veut plus, ce qu’on refuse de garder, à dire non. On peut trier et désencombrer sa maison, mais on peut aussi le faire avec ses activités, ses hobbies, son travail, ses amis…
Que penses-tu du succès du minimalisme actuellement? Est-il devenu un nouvel argument marketing ou au contraire est-il une réelle alternative durable à la consommation de masse?
Je pense que c’est intéressant d’observer cette tendance. Il y a clairement un business autour de nouvelles théories de développement personnel et le minimalisme en fait partie. Mais cela parle aux gens. Les gens ont envie et besoin de ça. C’est ça qui est intéressant. Alors oui certes, on a rendu ce mouvement très esthétique et les gens confondent parfois philosophie et décoration minimaliste. Il refont alors tout leur intérieur pour que ça ait l’air «minimaliste». On associe le minimalisme à la tendance zen, japonaise. Mais lors de mon voyage au Japon en 2017, j’ai découvert qu’il n’y a que dans les temples qu’on retrouve le zen. Le Japon est un pays ultra-consumériste, avec beaucoup de magasins et d’objets partout. Et c’est justement pour contrer ce matérialisme omniprésent que quelques minimalistes ont décidé de réactualiser l’une des valeurs de la philosophie bouddhiste, le détachement, en choisissant de vivre avec seulement 100 objets. Les minimalistes sont souvent des hommes, vivant en ville, célibataires et sans enfants, sans problèmes de santé, gagnant bien leur vie. C’est sûr que dans ces conditions c’est plus facile d’être minimaliste. Mais chacun peut l’être à son niveau, en choisissant simplement de réduire un domaine de sa vie: on peut décider d’acheter moins de vêtements, de posséder moins de livres et de cds, de privilégier certains amis… L’idée derrière est effectivement de consommer moins. En achetant moins, en possédant moins, la vie est plus simple, plus légère et on a aussi moins… de soucis!
En conclusion je pense qu’il y a des versions très extrêmes du minimalisme, mais ce qui compte ce n’est pas l’objectif, c’est le chemin, la démarche de vouloir réduire, d’aller à l’essentiel, de se contenter de ce qu’on a, de ne pas vouloir toujours plus.
Le minimalisme n’est pas une alternative, mais je dirais que c’est un moyen de remettre en question son mode de vie et de consommation, d’explorer de nouvelles façons de vivre (par exemple les tiny house qui exigent d’être assez minimaliste).
Quel est l’idéal vers lequel tend ton projet?
L’idéal? Je ne crois pas que je vise un idéal. Un peu comme pour le minimalisme, je pense que l’objectif est moins important que le chemin et la démarche. En tout cas ce qui m’importe, c’est d’aider les gens, qu’ils se sentent soutenus par moi et qu’ils aient l’impression d’avoir avancé dans au moins un domaine de leur vie. Et que ce domaine-là, le chez soi, puisse les aider à accomplir d’autres projets.
Quel est ton projet bruxellois coup de coeur?
Difficile de répondre à cette question! Il y en a tellement! Et c’est horrible à dire, mais je trouve qu’ils finissent parfois par tous se ressembler. Il y a un projet qui m’a interpellée et que je trouve assez génial, c’est Pool is Cool. Je ne les connais pas très bien, mais je les soutiens à 200%! Ils militent pour des zones de baignades en plein air à Bruxelles. On a de l’eau, des étangs, des canaux et on pourrait mieux en profiter. Rendre accessible ce loisir à plus de gens. Ma mère est suédoise et j’ai passé mes étés à Stockholm. J’adore cette ville, je la trouve incroyablement belle, c’est un terrain d’exploration qui s’étend sur plusieurs îles, avec des ponts, des perspectives, des hauteurs. Et l’eau est partout. On peut se baigner dans Stockholm, il y a même une petite plage! J’ai l’impression qu’une ville peut alors se transformer en un énorme parc d’attraction.
On doit mettre à profit les éléments (l’eau, la forêt, etc.), en les utilisant on aura moins envie de les salir et peut-être plus envie de les sauvegarder, les protéger. Je rêverais, qu’on déterre la Senne à Bruxelles, qu’on retrouve les canaux à Sainte-Catherine…
Illustrations: Clémence Peyroche d’Arnaud