La biodiversité, un jeu de mikado

Hiver 2019

Il n’est pas toujours évident de comprendre les enjeux de la biodiversité en ville. Mais si on imagine la biodiversité comme un jeu mikado on visualise tout de suite l’interdépendance entre les espèces: on peut enlever quelques pièces mais à un moment l’échafaudage finira par tomber. Dans la Commune de Molenbeek, se trouve le site de Scheutbos, 50 hectares débordant de biodiversité. Convaincue que plus on admire et on comprend la nature, plus on la respecte, l’ASBL “Les amis de Scheutbos” organise des promenades thématiques afin de sensibiliser le public sur l'importance de l’écosystème. Avec un inventaire en permanente expansion, le site compte aujourd'hui plus de 2300 espèces de plantes, insectes, champignons et animaux. Nous avons discuté avec Jean Leveque, membre de l’ASBL, sur l’importance de la biodiversité en ville. Entretien.


 

Les abeilles sont essentielles pour l’écosystème, en avez-vous ici sur le site?
On essaie d'avoir le moins d’abeilles possible, parce que pour l'instant il y en a trop en ville. C'est clair que les abeilles font énormément de bien, mais quand on en a de trop on favorise une espèce au détriment de 380 autres. Toutes les abeilles non-domestiques, qu'on appelle abeilles solitaires, ou même les bourdons (qui font aussi partie de famille des abeilles) ne peuvent pas lutter contre la concurrence "déloyale" des ruches. Parce qu'une abeille domestique a un rayon d'action de 2 à 4 km, tandis que celui d’une abeille solitaire est de 100 mètres. Donc s'il y a des ruches dans le coin elles ne pourront pas pour se nourrir. Une abeille solitaire va polliniser beaucoup plus des fleurs qu’une domestique par exemple. il y a des ruches en périphérie, on le sait parce qu'on constate que le nombre d’abeilles solitaires diminue énormément. C'est un problème qui est reconnu et qui va être traité légalement quant aux nombres de ruches qu'on peut avoir à proximité des sites naturels. La raison pour réglementer tout ça est que la nourriture pour les abeilles est limitée et à partir du moment où on installe des dizaines et des dizaines de ruches sur un territoire limité il y a cette concurrence "déloyale" qui se génère entre les ruches et les abeilles solitaires.

Quel type de gestion faites-vous sur le site pour protéger les espèces?
D'abord la lutte contre les espèces invasives. Par exemple la Renouée du Japon, qui a été importée du Japon au XIX siècle. Elle est très belle et elle couvre rapidement les murs de feuilles, en six semaines elle peut grimper jusqu’à trois mètres de haut. Le problème est qu’avec ses grandes feuilles elle bloque la lumière et rien ne peut pousser dessous. Parce qu’elle n'a pas été importée avec ses ennemis naturels elle se répand énormément. Il y a quinze ans au Scheutbos, il y avait à peu près dix hectares rien que de Renouée. C'est le contraire de la biodiversité, c'est de la monodiversité.

Avec des volontaires on a commencé à arracher la Renouée à la main tous les mois pendant cinq ans. C’était la seule façon écologique de s’y prendre. Donc si on laissait aller il n'y aurait pas du tout de biodiversité à Scheutbos.

Il y a aussi l'arbre à papillon qui est une plante invasive. C’est un très bel arbre avec de magnifiques feuilles mauves mais le problème est que son nectar est tellement goûteux pour les pollinisateurs, surtout en juillet et août, qu'ils foncent dessus et oublient de polliniser les plantes indigènes, ce qui fait disparaître les plantes indigènes. Il y a aussi des plantes qui sont non seulement invasives mais aussi dangereuses, comme la berce du Caucase qui, au contact avec la peau et du soleil, provoque des brûlures de troisième degré. Donc on travaille à l’éliminer avec l'aide du service plantation de la Commune. Toutes ces plantes invasives et envahissantes ne font pas partie des biotopes normaux de nos latitudes.

Hiver 2019

Pouvez-vous nous en dire plus sur la flore et la faune indigènes à Bruxelles?
Il y en a énormément. Il y en a plus à Bruxelles qu’en campagne parce qu’il n’y a pas les problèmes dûs à l'agriculture intensive des grandes surfaces aspergées de Roundup et autres pesticides qui finissent par tuer toute la biodiversité.

Pourquoi est-ce aussi important de conserver la biodiversité?
Parce qu'il y a tellement de connexions qui se font entre les espèces qu'on ne connaît pas tout. Les biologistes découvrent tous les jours de nouvelles relations entre les espèces qu'on n'avait pas encore imaginées. Si vous retirez d'un milieu déterminé une espèce qui a l'air anodin, vous aurez peut-être de la chance et ça n'aura pas de conséquences. Mais si vous retirez une deuxième et une troisième espèce, le risque augmente de faire disparaître toute une chaîne alimentaire ou aussi une chaîne de reproduction.

Un parc au milieu de la ville peut-il avoir une biodiversité riche?Ça dépend de la façon dont le parc est géré. Bruxelles Environnement fait une excellente gestion semi-naturelle du parc qui est à côté du site de Scheutbos, il y a beaucoup de biodiversité. Mais dans certains parcs, on va retrouver une gestion qui est focalisée sur l'homme et pas sur la nature, où on tond la pelouse toutes les semaines par exemple. C'est le type de parc où tout est bien ordonné. Les bois ne sont pas les endroits les plus riches en biodiversité, on préfère les espaces semi-ouverts. Parfois à Scheutbos nous abattons des arbres pour éclaircir un peu. Si on laissait tous les arbres, comme les feuillages bloquent la lumière, on aurait des plantes qu’au printemps et puis plus rien le reste de l'année.

Qu’est-ce que c’est le mycorhize ?
C'est un excellent deal entre les espèces. Les arbres et les plantes sont toujours liés à une ou plusieurs espèces de champignons. Le champignon, en s'associant à un arbre, pénètre ses racines pour se nourrir des produits de la photosynthèse de l’arbre et en échange il pompe pour l'arbre toute l'eau et les nutriments dont l'arbre a besoin. Par rapport à ce dont on parlait tout à l'heure sur toutes les relations entre les espèces, on s'est récemment rendu compte que non seulement un champignon est associé à un arbre et il l'aide mais également que ce réseau mycorhizien sert à plusieurs arbres. Ce réseau connecté par les racines pompe les nutriments des arbres robustes pour aller les apporter à de plus jeunes arbres et les aider à pousser. Ce réseau est toujours situé assez près de la surface du sol, c'est pour cela que parfois il n'est pas possible de se balader à certains endroits. Ici, nous n’interdisons pas d’espaces de balade mais nous essayons de canaliser les gens en mettant des barrières naturelles et en expliquant ce qu’est le mycorhize au public.

 

L’asbl “Les amis de Scheutbos” fait partie du réseau Bruxelles-Nature qui réunit tous les sites verts de Bruxelles. Pour participer aux promenades thématiques organisées chaque mois par l’asbl retrouvez toute l’info sur leur site.


 

Illustrations: Ivonne Gargano